Dans
un entretien donné par Michel Blanc pour un bonus du DVD (il date de
2005), l'acteur réalisateur explique, avec une certaine réticence,
que personne ne connaît rien de sa vie privée. Ce qui n'est pas
faux. Contrairement à ses collègues du Splendid, on ne sait rien de
ses opinions politiques (est-il de gauche comme Josiane Balasko, de
droite comme Christian Clavier), de sa vie amoureuse, de sa vie tout
court.
Voilà
ce qui est au centre de Grosse fatigue. Sa vie privée, ou
plutôt l'image que l'on se fait de la vie privée de Michel Blanc.
Comme on ne le connaît qu'à travers ses rôles, de loser, d'éternel
éconduit amoureux, de gaffeur, de bavard invétéré. Mieux, on
imagine parfois qu'il a tourné dans tous les films de la bande du
Splendid, comme le dit l'employée de la bijouterie « vous
étiez bien dans le Père Noël », « j'ai pas joué dans
le Père Noël » répond-il avec fureur.
Le
jeu du film est ainsi de plaquer cette réalité qui n'existe pas.
Tout le monde joue son propre rôle. Carole Bouquet ouvre le film,
face caméra, avec son nom indiqué sur l'écran. Il s'agit d'un
reportage télé. Puis c'est un défilé de têtes connues pendant le
Festival de Cannes 1993, Gilles Jacob, Estelle Lefébure, David
Halliday, Mathilda May, Charlotte Gainsbourg. Puis à Paris, c'est
Régine qui vire Michel Blanc de son cabaret devant Dominique
Besnehard.
Ce
dernier s'inquiète, en tant qu'agent de Michel Blanc, qu'il n'aie
rien fait depuis Marche à l'ombre. Il est dans une mauvaise
passe. La preuve, la police vient sonner dès le matin pour annoncer
qu'un chauffeur de taxi s'est plaint de ne pas avoir été payé
après une course Rue Saint-Denis où Michel Blanc serait allé pour
se « payer une pute », ce qui étonne un des deux flics
qui croyait que Michel Blanc « à cause de ce putain de film »,
le slogan de Tenue de soirée.
Placer
la référence de Bertrand Blier dans la première minute de Grosse
fatigue est là pour rappeler que c'est Blier qui a inspiré cette
histoire de sosie où chacun est un lui-même cinématographique.
Cinq ans plus tard, il reprend cette idée toujours féconde dans Les
Acteurs avec moins de bonheur. Assez vite, le sosie de Michel
Blanc pourrit la vie de Michel Blanc, ce qui est révélé à Cannes.
Là, la police est beaucoup moins cordiale qu'au début.
Ce
con de Michel Blanc aurait violé Balasko, il l'aurait attachée à
un radiateur avec des menottes. Elle a porté plainte non sans
l'avoir préalablement traité de tous les noms. C'est Carole
Bouquet, la froide Carole Bouquet comme le rappelle Michel Blanc qui
a vu Cet obscur objet du désir. Elle lui réplique qu'elle en
a franchement marre d'avoir affaire au sous Woody Allen
franchouillard. Les répliques entre les deux fusent avec bonheur et
un certain aplomb.
Le
voyage dans le Lubéron, un endroit atroce où le soleil règne, où
le bruit est absent, où le romarin sublime le civet de lapin est la
nouvelle prison de Michel Blanc. Il déteste la campagne comme
Bernard Blier dans Buffet froid mais un journal qui servait à
recevoir les épluchure de patates permet de comprendre qu'un certain
Michel Blanc va faire une animation de supermarché. Effectivement,
Jean-Claude Dusse est là devant Michel Blanc et Carole Bouquet.
Le
sosie est là, il s'appelle Patrick. Facilement, ils retrouvent sa
trace. Ils vont chez ses parents. Tout l'intérieur est consacré à
Michel Blanc. Pas de photos personnelles de Patrick, mais celles des
films, comme si cela était des vrais souvenirs. Et ensuite, la
séquence la plus étrange, celle d'un paraplégique, un voisin des
parents de Patrick, qui se lève quand Carole Bouquet vient le
saluer. L'ensemble du village, sous une pluie battante, crie au
miracle.
J'aime
la brièveté de Grosse fatigue, son rythme incroyable, ce
culot narratif qui parvient à rendre crédible cette histoire de
sosie. Toute l'équipe du Splendid s'est réunie pour l'occasion –
avec Dominique Lavanant pourtant peu amie avec eux – lors d'un
repas coloré par leur veste respective, même Bruno Moynot est
présent (en chauffeur de limousine). Seule la fin avec Philippe
Noiret et Roman Polanski me semble plus faible, avec une sorte
d'explication un peu vaine.
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