mardi 9 juin 2020

La Fureur de vaincre (Lo Wei, 1972)

Tout en blanc, veste, pantalon et chaussures, valise comprise, Chen Zhen (Bruce Lee) traverse la nuit noire sous une pluie battante pour retourner dans l'école de kung-fu Jingwu Mun à Shanghai. D'où venait-il avec son costume occidental, cela n'est jamais précisé dans La Fureur de vaincre mais le contraste de couleurs, presque du noir et blanc, entre la nuit et le blanc immaculé est saisissant. C'est ainsi que Bruce Lee entrait dans la légende du cinéma de Hong Kong.

Longtemps La Fureur de vaincre n'a été visible qu'en version tronquée, raccourcie et pourvue d'une version française peu recommandable. C'est ainsi que beaucoup de gens ont vu le film. Il aura fallait attendre 30 ans, l'été 2003, pour enfin voir le film en vrai. Il était sorti dans quelques salles avec ses autres films adultes, puisque avant sa carrière à la télé américaine (la série Le Frelon vert), Bruce Lee a beaucoup fait de mélo à Hong Kong lorsqu'il était enfant.

C'est le deuil dans l'école de son maître, ce dernier est mort. Pour le spectateur de Hong Kong de 1972, rien ne bien neuf, il en a vu des films de kung-fu qui commence par une mort avec l'un des disciples qui va venir le venger, c'est un classique du genre. En revanche, ce qu'il découvre sur l'écran, ce sont des acteurs qui parlent pour la première fois en cantonais, leur langue natale. Les films étaient généralement en mandarin, la langue de Pékin.

C'est une révolution qui se met en matche avec ce film et qui lui a valu un immense succès. Et cela va tout à fait dans le sens du scénario du film. On est loin des Rage du tigre, des Hirondelles d'or, des Justicier de Shanghai tous franchement déconnectés des réalités de l'époque, non pas parce qu'ils sont des films en costumes situés dans des périodes de l'histoire chinoise ancienne, La Fureur de vaincre l'est aussi, mais parce qu'il en appelle à des sentiments patriotiques.

Ce sentiment arrive le soir-même avec des Japonais qui viennent narguer les membres de l'école. Ils « offrent » un panneau sur lequel il est écrit en chinois « la maladie de l'extrême orient ». C'est une provocation, une insulte, un défi. Chen Zheng a du mal à garder son calme. Son impulsivité passe par son visage qui se tend, ses traits se crispent, ses yeux remplis de colère. Bruce Lee joue beaucoup de son visage qui vient régulièrement prendre tout l'espace du cadre.

Ce Shanghai du début du 20e siècle est celui de la colonisation de la Chine. Plusieurs fois dans les dialogues il est indiqué que l'école est au centre d'une concession accordée au étrangers. Les plus puissants sont les Japonais. Ils vivent dans une totale impunité. Le maître de Chen Zhen n'est pas mort de vieillesse, il a été empoisonné. Le jeune disciple, qui entre temps a troqué son costume blanc pour un habit traditionnel sombre, entend une conversation des traîtres.

Même si le jeune homme avait reçu l'ordre de ne pas se venger, Chen Zhen va dans le dojo des Japonais pour les affronter sur leur propre terrain. Voici le corps de Bruce Lee qui se met enfin en action. Il retire sa veste pour dévoiler son torse nu finement musclé face au Japonais qui restent en kimono. Puis, c'est le petit mugissement de l'acteur qui se fait entendre dans une confrontation qui s'approche, lui seul contre tous les Japonais.

Il ne les regarde jamais, il détourne toujours les yeux des leurs. Il annonce ainsi son profond mépris. C'est aussi qu'il regarde ailleurs, plus bas, les poings et les pieds de ses adversaires, ce sont là que se trouvent les armes des combattants. Puis Chen Zhen sort son nunchaku qu'il manie avec une extrême dextérité. Il donne des coups forts tout en gardant son calme. Dans le cadre, Bruce Lee est au centre presque immobile tandis que les autres tournent autour de lui.

Une scène clé arrive dans la première demi-heure, celle du parc public où un panneau indique l'interdiction d'entrée au chiens et aux Chinois. J'avais déjà analysé la séquence dans mon blog AsieVision. Chen Zhen est humilié en public par des Japonais, l'un d'eux (Yuen Wah), lui dit que s'il veut entrer dans le parc, il n'a qu'à se mettre à quatre pattes. Il ne le fera pas, au contraire, il saute en l'air et détruit la pancarte raciste avant d'être acclamé par des compatriotes.

Je passe sur le scénario qui consiste à des représailles suite aux coups de sang et de poings de Chen Zhen. Bruce Lee se déguise plusieurs fois pour piéger les Japonais, d'abord en marchand de journaux, puis en employé de téléphone. Bruce Lee cherche aussi ici à prouver qu'il est un acteur complet. C'est aussi pour cela qu'une romance est racontée, une amourette avec sa fiancée (Nora Miao), la seule qui sait où il se trouve quand il fuit la police expédiée par les Japonais.


Dans le dernier combat où il assouvit enfin sa vengeance, on peut voir une image marquante de Bruce Lee, son moulinage des mains et des bars au ralenti. Comme si sa puissance était démultipliée et sa victoire inéluctable. Il est partout et invincible. Je ne ma rappelais pas à quel point le film est noir, totalement désespéré. Certes on trouve des gros clichés dans ce récit bien amené, rempli de rebondissements tout en gardant une cohérence, c'est le meilleur film de Bruce Lee.





































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