Ça
devait sortir le 18 mars, finalement il a débarqué sur une
plate-forme VOD, mais j'ai pu le voir en salle. J'avais envie de voir
ce film pour une raison très personnelle et un peu bête, parce que
Le Moindre geste de Fernand Deligny et Jean-Pierre Daniel avait fait
la couverture des Cahiers du cinéma en novembre 1971, le mois de ma
naissance. La photo qui illustrait la couverture, photo en noir et
blanc, est celle de Yves, l'un des pensionnaires de la ferme de
Deligny.
C'est
ce même Yves qui ouvre le film, plus de 50 ans plus tard. Avec
d'autres pensionnaires autistes, il met la table dans la salle à
manger pour le petit déjeuner. Fernand Deligny est mort depuis des
années mais ce qu'il a institué dès les années 1940 existe
toujours. C'est un accueil en pleine montagne, en pleine campagne, au
milieu des arbres, en l'occurrence dans le calme des Cévennes
d'enfants cassés et il leur procure une autre vie.
Le
documentaire relate cette histoire avec une grande économie de
moyens. Ce que l'on remarque c'est que ces pensionnaires ne parlent
pas, que les images d'archive manquent, alors Richard Copans doit
trouver une autre façon de retracer l'histoire, ce sera la voix de
Jean-Pierre Darroussin à la première personne, celle de Fernand
Deligny qui refusera tout sa vie d'être affilié à un quelconque
organisme. Il est indépendant et surtout, il se débarrasse du
moindre protocole.
Certains
de ses collaborateurs les plus récents racontent ses méthodes,
dessins à l'appui avec les « lignes d'erre ». Un
bénévole ne savait pas quoi faire, Deligny lui a demandé de
dessiner les trajets des pensionnaires. Il en résulte d'étranges
dessins où les lignes su superposent à l'infini, les formes suivent
les courts trajets dans l'espace, et ce bénévole ajoute que pour
les autistes seul compte l'espace, jamais le temps passé à
parcourir les distances.
Mais
ce qui m'intéresse plus dans Monsieur Deligny vagabond efficace
est son aventure cinématographique. Il était muni de plusieurs
caméras 16 mm et il filmait ses pensionnaires, avec comme vue une
cure calme et réfléchie. Puis vient l'idée d'un film, sans se
soucier le moins du monde de la technique. Le tournage du Moindre
geste dure des années, le film est souvent abandonné, repris.
Huit ans entre le premier plan et sa présentation à Cannes.
Une
telle patience force l'admiration, l'histoire est belle mais on ne
verra pas beaucoup du film car Richard Copans ne cherche pas à créer
ce que je pourrais appeler un moment d'émotion facile. En revanche,
il raconte ses multiples amitiés avec les gens du cinéma, André
Bazin qu'il a connu avant-guerre, Chris Marker qui l'a aidé à à
produire Ce gamin-là grâce à son organisme SLON et surtout
François Truffaut qui traverse tout le film.
Deligny
entretenait avec Truffaut une longue et fructueuse correspondance,
vouvoiement de rigueur dans les lettres. Deligny demande de l'aide
quand il a besoin d'un coup de pouce financier pour Le Moindre geste,
il ne se gêne pas avec les circonvolutions polies. Il y va franco.
Les lettres sont lues à haute voix (Truffaut gardait tout, lettres
envoyées comme reçues) et c'est Mathieu Amalric qui devient la voix
de François Truffaut.
Fernand
Deligny a donné des conseils pour Les 400 coups, notamment
sur la dernière scène, magnifique, où Antoine Doinel va sur la
mer, le but des deux hommes, que ce soit juste. Et encore une fois,
pas seulement émouvant. Il l'aide aussi pour L'Enfant sauvage
et sans aucun doute ces conseils ont permis que Truffaut, comme un
miroir et un hommage, joue cet homme qui prend sous son aile le jeune
autiste du film.
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