Si
c'était de l'amour (Patric Chiha, 2019)
Le
premier plan séquence est mystérieux, en fond sonore de la techno,
à l'image un défilé de jeunes gens, tous beaux, tous souriants,
viennent se faire asperger à la sulfateuse (c'est bien sûr de l'eau
pour simuler la transpiration. Leurs gestes sont lents, ils bougent
en saccadé, c'est ainsi que la chorégraphe Gisèle Vienne les met
en scène. Sa parole se fait entendre avec un slogan « plonge
dans le sol ». Sur la scène du théâtre où la représentation
est répétée de la terre, voilà le sol en question. Et toujours
ces déplacements lents, c'est très beau d'autant que la caméra de
Patric Chiha scrute les gestes, les visages, les peaux, l'extase qui
est en train d'arriver chez tous ces jeunes filles et garçons. Pour
ainsi dire, Si c'était de l'amour est l'extrême inverse de Climax
de Gaspar Noé, ça commence par de la danse. Gaspar Noé pensait
pouvoir filmer de l'énergie mais il ne filmait que les vent entre la
gestuelle emphatique de ses danseurs, puis il faisait dialoguer deux
par deux ses personnages, les pauvres se contentaient de débiter une
somme de clichés. Patric Chiha fait la même chose. Ce qui se passe
dans les dialogues de Si c'était de l'amour est la construction des
personnages sans qu'on sache si les danseurs parlent d'eux ou des
personnages que Gisèle Vienne a inventé pour cette soirée techno.
La polyphonie (anglais, allemand, français, suédois), comme dans
Brothers of the night est là, les corps se désirent, ils se
dénudent, ils se touchent, ils se repoussent, ils se trouvent. Mieux
que ça, un peu d'humour est distillé ici et là. Mieux que Gaspar
Noé, Patric Chiha abat encore une fois la frontière entre
documentaire et fiction jusqu'à une abstraction presque
vertigineuse.
Nous,
les chiens (Ho Sung-yoon & Lee Chon-baek, 2018)
Ce
film d'animation coréen (denrée rare, je n'ai vu que Mari Yiagi,
Oseam, Aachi & Ssipak et King of pigs) parle
d'un sujet que, je crois, je n'ai jamais vu au cinéma : les
fermes à chien. Des chiens sont élevés soit pour leur fourrure
(comme le bébé chien capricieux et espiègle), soit comme mère
porteuse (comme la chienne « sauvage »), soit comme
aliment (eh oui, en Corée on mange du chien). On n'en parle peu –
je me rappelle que certains athlètes au JO de 2018 s'était fait
l'écho de cette exploitation scandaleuse). Les chiens de ce film qui
se sont échappés sont donc constamment traqués par le tenancier de
la ferme, un type au visage particulièrement soigné, un tronche
patibulaire, mal rasé, hurlant, les yeux cruels. Bref, pas un
rigolo. Il va à la chasse avec sa voiture polluante, il fonce dans
la forêt et la montagne et se fait de capturer les fuyards une
mission personnelle. Dans ce film les chiens parlent,
l'anthropomorphisme joue à fond, ce qui crée le souci majeur du
récit, ils agissent autant avec des sentiments humains qu'avec des
réactions canines. On reste le cul entre deux chaises.
Un
fils (Mehdi M. Barsaoui, 2019)
Mehdi
M. Barsaoui a été à bonne école, il a été l'assistant de la
cinéaste tunisienne Kaouter Ben Hania (Le Challat de Tunis,
La Belle et la meute), un peu logiquement, il prend dans son
premier film des sujets brûlants qui ont traversé la Tunisie juste
après la chute de Ben Ali : la place de la femme dans la
société (ici on ne lui laisse rien faire pour aider son fils qui a
reçu une balle perdue sans l'accord de son mari), la vague
terroriste (la chute de la Libye n'est pas loin, merci Sarkozy),
l'infidélité (la raison du drame vécu), la bourgeoisie insouciante
des villes (la famille part en week-end à Tataouine, mal lui en
prend), le don d'organes et sa conséquence le trafic de jeune
enfants, sans doute les deux sujets les mieux traités dans le film
où le père passe d'un hôpital à bout de souffle à une clinique
privée où la corruption règne. Le film cherche à frôler le
thriller psychologique et effectivement on parle beaucoup, les
personnages s'interrogent longtemps sur leur passé et leurs actes.
Ça fait beaucoup de sujets et si le film retombe sur ses pattes,
c'est vraiment parce que le cinéaste fonce, ne prend pas de gants
pour dépeindre l'enfer que vivent ces deux parents. Ce qu'on appelle
un film coup de poing.
Jumbo
(Zoé Wittock, 2019)
Régulièrement
le cinéma français frôle le cinéma de genre, ici le fantastique
domestique. Une jeune femme mal dans sa peau tombe amoureuse d'une
attraction foraine, un peu comme si Megan Fox était éprise d'un
Transformer, en vérité la cinéaste cherchait à talonner vers le
Crash de David Cronenberg, le maître des sexualités
déviantes. Le jeu de Noémie Merlant est tout en douceur avec des
scènes où elle discute avec le manège de manière naturelle.
Hommage à Under the skin de Jonathan Glazer (une des
inspirations du film) quand elle se trouve enduite de cambouis comme
si elle venait de se prendre une éjaculation faciale de l'attraction
mécanique. En revanche, les deux autres personnages sont plus
pénibles. Emmanuelle Bercot joue la mère et elle ne semble toujours
pas être remise de son rôle dans les films de Maïwenn (c'est très
pénible). Thomas Bouillon, l'acteur le plus insipide depuis Raphaël
Personnaz devrait un type dur, arrogant qui harcèle la jeune femme,
mais il en est loin. J'ai parfois eu l'impression de voir un
court-métrage étiré jusqu'à plus soif, on reste loin des énigmes
de Crash et Under the skin, très loin. Peut-être pour
son deuxième film.
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