Carl
Reiner (1922 – 2020, il est décédé hier) est, je crois moins
connu que son fils Rob Reiner auteur des quelques superbes comédies
dans les années 1980 (Spinal Tap, Stand by me,
Princess Bride, Quand Harry rencontre Sally et aussi
Misery, pas franchement une comédie mais un film tellement
jouissif. Je n'ai vu que deux films de Carl Reiner, ce film et
L'Homme aux deux cerveaux, tous les deux avec Steve Martin,
également co-scénariste. Carl Reiner a aussi joué dans les trois
films de Steven Soderbergh, les Ocean's...
J'avais
vu Les Cadavres ne portent pas de costard une douzaine
d'années après sa sortie lors d'une reprise dans un cinéma de
province. Noir et blanc, c'est un film des années 1930-1940 qui
s'étale sur l'écran avec un générique comme jadis et une musique,
celle de Miklos Rozsa, tout en violon et cuivres pour lancer la mort
d'un scientifique, un certain John Hay Forrest, par ailleurs grand
frabriquant de fromages, comme l'indique le journal que lit ce
matin-là Rigby Deardon (Steve Martin), détective privé.
Après
ce prologue en hommage au film noir, le premier gag avec cette une de
ce journal est là, dans un léger décalage pas totalement hilarant
mais qui dénote un certain sarcasme. Il faut se rappeler que
certains magnat dans certains films étaient décrits comme « le
roi de » quelque chose, ici le fromage. Steve Martin a choisi
de jouer ce détective au premier degré, chapeau, chemise,
bretelles, cravate, belle gueule et cheveux gominés. Rien ne permet
sans dans certains détails de voir que Carl Reiner est en train de
faire une comédie.
Puis
arrive dans son bureau la femme fatale, la fille du roi du fromage,
Juliet Forrest (Rachel Ward), portant son deuil et émue de voir le
détective tenir ce journal. Elle s'évanouit et là commence les
premiers gags typiques de Steve Martin, il pose ses mains sur la
poitrine de l'actrice pour les remettre en place. Passons. Il est
engagé pour mener l'enquête et il se dirige dans l'immense demeure
des Forrest où il est accueilli par un majordome peur accueillant
que joue Carl Reiner, avec son corps immense et imposant.
Le
cinéaste a cette scène en début de film, il joue ce genre de
majordome qui en impose, un homme plus maître chez lui que son
propre patron, une sorte de Mr. Danvers (souviens-toi Rebecca),
au regard dur, intransigeant, jugeant ce détective dès qu'il passe
dans le vestibule. Puis, Carl Reiner est absent pendant tout le film
jusqu'au finale où on apprend qu'il est un ancien nazi qui a fomenté
un complot contre le Dr. Forrest. On s'en doutait et ce dénouement
arrive, comme toujours dans un film noir, avec une grande
explication.
Là
où Carl Reiner amuse c'est que à la fois Juliet et Rigby veulent
donner des explications sur le comment du pourquoi et que le
majordome alias le général nazi peste contre cette attitude, il
déclare en substance à ses ennemis que c'est au méchant du film de
déclarer pourquoi il a si mal. Voilà, ce qui donne une certaine
idée de l'humour de Carl Reiner, assez proche finalement de celui de
Mel Brooks qui a lui aussi pastiché les genres les plus fameux du
cinéma hollywoodien, avec des détournements comiques des éléments
originaux.
Mais
ce qui est le plus remarquable dans Les Cadavres ne portent pas de
costards et qui justifie ce noir et blanc classieux est
l'insertion de séquences des films noir de la Universal avec toutes
ses stars de l'époque. Le procédé est simple, Alan Ladd, Humphrey
Bogart, Burt Lancaster, James Cagney, Ingrid Bergman, Cary Grant,
Barbara Stanwick ou encore Ava Gardner et Bette Davis viennent comme
des personnages secondaires. En tout près de 20 films servent de
liant entre les scènes filmées par Carl Reiner.
Chaque
fois c'est avec le détective Rigby qu'ils discutent, c'est ainsi
qu'avance le récit à grands coups de révélations délirantes. On
voit des extraits des films originaux où ils dialoguent ensemble et
les répliques de Steve Martin coïncident avec celles des stars de
l'époque. Puis dans les plans ensemble, en simple champ
contra-champ, une doublure passe devant ou derrière, sauf pour Cary
Grant dans Soupçons qui partage un plan avec Steve Martin.
Certes, on voit bien les différences de grain, des texture, de
photographie mais tout reste harmonieux.
Pour
dire la vérité, Les Cadavres ne portent pas de costard n'est
pas si drôle que ça, malgré les gags récurrents qui ponctuent le
film. Rigby ne supporte d'entendre les mots « cleaning woman »,
il est soudain pris de folie, Juliet extrait les balles reçues dans
l'épaule du détective avec la bouche, un soldat d'une contrée
imaginaire sud-américaine veut nettoyer le haut de pyjama du
détective. Et aussi la phrase à Marlowe dont Rigby est fan « ne
tombe jamais amoureux d'une cliente » et qu'il fait sienne
quand bien même il tombe amoureux de Juliet.
Comme
je l'ai dit, le récit cherche volontairement à être le plus
incohérent possible, le plus incompréhensible possible, dans un
hommage au Grand sommeil. Avec tous ces gags, réussis
parfois, avec tous ses invités vedettes venus d'un autre temps et
d'un autre film, on n'a pas le temps de suivre le récit, comme
dirait l'autre « c'est voulu », le tout avec une ironie.
Le film, c'est évident, a influencé autant Les Nuls que Michel
Hazanavicius pour ses deux aventures de OSS 117 comme pour La
Classe américaine, pastiche moins classieux et plus grossier.
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