« Oh
des salades ! Tu sais que j'ai jamais vu des salades plantées.
Je les vois toujours sous cellophane au Prisu. » s'exclame
Bérénice Beaurivage (Arielle Dombasle) quand elle visite le jardin
de son nouvel amant ou amoureux, selon ce qu'on veut, le maire de
Saint-Juire, Julien Dechaumes (Pascal Greggory). Elle s'extasie
devant les salades, se demande pourquoi le poirier en fleurs n'a pas
encore de fruit, elle s'amuse à imiter avec Julien le gloussement du
dindon qui lui répond. Bref, Bérénice s'amuse à la campagne.
Le
jeune maire, fraîchement débarqué de Paris, tel un gentleman
farmer avec son beau costume de velour et de tweed (il faudra
comparer plus tard dans le film comment les vrais paysans s'habillent
et parlent également), a été battu aux cantonales. Alors il décide
de se présenter, sous l'étique du Parti Socialiste, aux
législatives. Il vit dans un beau château et ce jour-là, Bérénice
est venu le voir. Eric Rohmer les filme tous les deux, elle allongée
sur un sofa en Maja habillée, lui sur un fauteuil en peignoir, il
prenne le café du matin.
Monsieur
le Maire a de l'ambition, il veut créer à la place d'un pré, que
la commune a acquis, un centre culturel moderne au milieu du village.
Quelle idée ! « Que c'est beau ! Que c'est beau ! »
dit Marc Rossignol (Fabrice Luchini), le directeur de l'école. Il
ne se pâme pas devant le plan de la future médiathèque, ni ne
complimente l'idée du maire mais il admire l'arbre, cet arbre en
tête du titre du film, ce vieux saule pleureur qui perd de sa
superbe mais qui est là devant l'école où il enseigne à des
gamins le sens du mot si.
Avec
des si, on peut changer le monde. Le sous-titre de L'Arbre le
maire et la médiathèque est « les 7 hasards ». Ce
sont ces hasards qui vont mettre en miettes le projet de Julien
Dechaumes. Il avait tout prévu, il était parvenu à obtenir des
subventions, à boucler des financements, à convaincre à peu près
tout le monde, il espérait que cette médiathèque serait un
tremplin pour sa carrière politique. Mais les hasards s'érigent en
obstacle. Eric Rohmer les égrène avec humour, avec un petit air
musical guilleret mais moqueur à chaque carton écrit à la main.
J'avais
découvert L'Arbre le maire et la médiathèque à sa sortie en 1993
sans connaître Eric Rohmer. C'était mon premier film du cinéaste.
Je connaissais Fabrice Luchini uniquement à cause de La
Discrète, beau film de Christian Vincent hélas bien oublié
aujourd'hui (j'aimerais le revoir). Entrer dans le monde d'Eric
Rohmer avec ce film est une gageure, pour moi, c'était un bonheur
total. J'ai vu depuis tous ses films, les suivants au cinéma, les
précédents en vidéo ou à la télé, L'Arbre le maire et la
médiathèque reste mon préféré.
En
le revoyant 26 ans et des poussières plus tard et tandis que Fabrice
Luchini incarne désormais le maire de Lyon dans Alice et le
maire (avec un brio inégalable), ce qui m'a le plus frappé est
que tout ce qu'avait écrit le cinéaste, tous ses dialogues qui ont
été souvent moqués à sa sortie et même aujourd'hui, sont d'une
incroyable actualité. Mieux que ça, Eric Rohmer dans ce film
prévoyait absolument tout ce qui est arrivé dans le paysage
politique français depuis 26 ans.j'en suis resté souvent bouchée
bée devant un tel esprit visionnaire.
Il
s'en est fait beaucoup des films sur des hommes politiques, surtout
ces dernières années, de Quai d'Orsay à Alice et le
maire en passant par Chez nous et Le Poulain. Mais
aucun n'a autant refusé le manichéisme et la démagogie que L'Arbre
le maire et la médiathèque. C'est loin d'être un exposé de la
seule France de 1993, la défaite du PS, le suicide de Bérégovoy,
la cohabitation avec Balladur téléguidée par Chirac n'étaient pas
encore arrivés quand le film est sorti, mais on parle déjà
d'écologie, de la menace des populistes et de fin de l'ancien monde.
Revenons
un peu sur cette Bérénice, cette candide de la ville chez un dandy
de la campagne. Julien avec condescendance la traite pendant la
première partie de bécasse, il la trouve franchement stupide. Assez
tôt, elle trouve ce projet de médiathèque ridicule. Avec un
judicieux retournement de situation, l'arrivée d'une journaliste
Blandine Lenoir (Clémentine Amouroux) – l'un de ces fameux hasards
– et des discussions plus vraies que nature avec l'architecte puis
des habitants, Bérénice apparaît comme l'incarnation de la
sagesse, ou du moins, enfin on entend ses arguments aussi valables
que les autres.
Fabrice
Luchini n'apparaît que dans quelques scènes du film mais c'est lui
qui dans les dernières minutes du film commence à entonner la
chanson qui clôt le récit, suivi de Pascal Greggory puis d'une
chorale locale et enfin d'Arielle Dombasle, véritable star de
L'Arbre le maire et la médiathèque. Car c'est aussi ça la
fantaisie maîtrisée et cocasse d'Eric Rohmer (et il faut rappeler
que le film fait souvent preuve d'un humour irrésistible), il
invente le film politique français, loin de la fiction de gauche et
finit en comédie musicale.
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