vendredi 11 octobre 2019

Chambre 212 (Christophe Honoré, 2019)


Comme François Ozon, Christophe Honoré s'amuse à prendre le contre-pied de son film précédent (François Ozon est largement présent dans le film, on voit l'affiche de Grâce à Dieu sur la vitrine du cinéma les 7 Parnassiens, cinéma au dessus duquel le couple de Chambre 212 habite, c'est dire la rapidité de tournage). Il ne s'agit pas de faire un film contre l'autre, selon l'expression de François Truffaut mais de changer de style, de genre, au sens propre comme au sens figuré puisque après les amours entre Vincent Lacoste et Pierre Deladomchamp à Rennes, le cinéaste pose sa caméra à Montparnasse et observe comme un anthropologue le couple que forment Richard (Benjamin Biolay) et Maria (Chiara Mastroianni).

Dans cet appartement s'inscrit une histoire banale comme le cinéma français en produit des dizaines chaque année. Maria, que Chiara Mastroianni joue comme une véritable tornade, a des amants. Elle les choisit selon des critères bien particuliers et un soir Richard, archétype du mari amorphe – et cela se voit avec la couleur de leur vêtement, rouge sanguine pour elle, jaune cocu pour lui – découvre qu'elle le trompe. Comme dans n'importe quel autre film français, ils se disputent, ils s'engueulent mais pas trop non plus, ils tentent de s'expliquer mais sans vraiment trop se confesser. Maria quitte le domicile conjugal et part surveiller son mari dans l'hôtel en face, elle prend la chambre 212 – d'où le titre.

Ciel, mon mari a 20 ans de moins. En traversant cette rue, le banal film français de couple se transforme grâce à un petit artifice. Dans Les Chansons d'amour c'était le passage par la comédie musicale et les chansons d'Alex Baupain, dans Chambre 212 c'est un procédé digne des meilleurs films de Bertrand Blier (allégrement remercié dans le générique de fin). Maria en traversant se voit confronté à Richard jeune, quand elle l'a connu. Vincent Lacoste incarne idéalement cet avorton qui passe son temps à fumer des cigarettes, comme le faisaient les personnages du cinéma français (Lvovsky, Desplechin) il y a plus de 20 ans à leur début (rappelons-nous qu'alors Christophe Honoré était chroniqueur aux Cahiers du cinéma.

On est ainsi dans une narration proche de Bertrand Blier (j'aime beaucoup cet aspect et cette manière) et dans une posture proche d'Alain Resnais avec une théâtralité assumée. Le film sortira à peine de ces deux décours, l'appartement et la chambre 212. Dans ce petit théâtre, que Christophe Honoré a la bonne idée de faire court, on ne cesse jamais de causer, on dialogue un peu, on soliloque beaucoup, on s'apostrophe, on argumente et on emmagasine les souvenirs. C'est dans le souvenir perdu ou non que Maria et Richard jeune refont leur vie, relisent leur fiction secrète, leur aventure amoureuse respective. Elle vont s'approcher dans une forme de flash-back joué en direct devant eux comme un livre ouvert et imagé.

Le passé de Richard est sa prof de piano Irène (Camille Cottin) qui arrive dans la chambre (robe bleue, la couleur du blues évidemment). Elle vient réclamer son dû, pas question de laisser Richard jeune à Maria quadragénaire. Elle lui a déjà laissé la place à l'époque, elle veut sa revanche. Mais d'abord, elle raconte leur histoire d'amour de 15 à 20 ans. Qu'on se rende compte, Christophe Honoré est là en train de nous conter une histoire d'éducation sexuelle d'un mineur par une adulte qui pourrait être sa mère. Il le fait avec un aplomb incroyable, à cause de l'artifice ce passé qui revient n'est pas scabreux. Comme dans ses autres films, le cinéaste se garde bien de faire la morale, il est dans une autre idée du désir et il cherche à le concrétiser.

D'ailleurs voilà tous les anciens amants de Maria qui débarquent en même temps dans la chambre 212, tous bien jeunes, tous bien beaux, tous un peu couillons. Ils sont parfaits pour un film de Christophe Honoré et on s'amuse à entendre leurs noms et prénoms. Il arrive aussi un type (Stéphane Roger) qui se présente comme la Volonté, celle de Maria qui en manque beaucoup quand elle couche avec tous ces jeunes. Le film se poursuit avec la neige qui tombe qui lance la narration vers le conte léger comme un flocon de neige mais aussi un peu cruel. C'était un peu casse-gueule parce qu'il faut tenir son récit pour ne pas aller trop loin dans les délires, les extravagances, les surprises, le trop plein. Pour le coup, c'est une réussite et c'est amusant.

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