mercredi 16 octobre 2019

L'Amour debout (Michaël Dacheux, 2018)

Visiter Paris et rencontrer des gens. Du nord de Paris (la Villette) au sud (la Cinémathèque française), Léa (Adèle Csech) et Martin (Paul Delbreil) viennent de Toulouse et portent les prénoms d'un film d'Alain Cavalier. Ils se séparent dès le début du film, ils étaient en couple. Ils n'auront que cette scène ensemble, jusqu'à la fin, leur vie se sépare à cette endroit, sans vraiment que l'un ne regrette l'autre. Ce sera le ton adopté pendant tout le film, L'Amour debout est un film sur la délicatesse de ses personnages qui passent d'un quartier à un autre de Paris.

Léa est guide, pas tellement touristique. C'est assez cocasse de la voir parler de la Villette, des nouveaux bâtiments aux anciens, avec une voix pas très assurée. Elle le sera un peu plus quand elle présentera le quartier des Batignolles. On passe de Gilles Deleuze au détour d'une rue où elle ne parlait que de Verlaine à Jean Eustache. L'homme qui s'est joint à cette visite guidée des Batignolles, JC (Jean-Christophe Marti), c'est lui qui évoque Eustache. Voit-on aujourd'hui un seul film qui parle d'Eustache, aucun.

Il en sera plus tard encore plus question. Doublement avec Françoise Lebrun dans son propre rôle, disons qu'elle joue une Françoise Lebrun un peu spéciale, pas forcément très agréable, un peu pète-sec, et c'est cela qui est amusant aussi dans ce film, jouer avec les icônes qu'on dit indéboulonnables. Depuis, l'actrice a également joué son propre rôle dans Thalasso sans que cela soit aussi créatif. Elle présentera à la Cinémathèque française La Maman et la putain en présence de Pierre Lhomme. Le chef opérateur est décédé depuis la sortie du film.

Dans le public se trouve Martin. Le grand jeune homme à l'allure empruntée, un peu gauche, pas une lumière au premier abord, est surtout un grand timide. Certes, le cinéaste s'intéresse au parcours de Léa mais c'est surtout Martin qu'il suit dans son trajet. Léa se contente de deux rencontres, outre JC – toujours en allant au sud de Paris, cette fois au port de la Bastille, puisque son nouvel amoureux vit dans une péniche, on rencontre Alicia (Shirley Mirande), hôtesse de l'air qui vient habiter chez elle le temps des escales.

Martin voulait faire des films, être cinéaste. Il est sans boulot, sans petite amie et sans logement. Son parcours est intérieur. Léa traverse les rues de Paris, Martin s'enferme dans les appartements et les lieux clos. Il est hébergé par son cousin, puis il fait un atelier cinéma dans un lycée d'Ivry grâce à l'entregent de Jérôme (Pascal Cervo), une connaissance de son cousin. L'atelier est assez amusant et un peu cruel pour Martin qui a non seulement un peu de mal avec son corps mais aussi pour s'exprimer et les lycées ne comprennent pas le sens de cet atelier.

L'autre mouvement intérieur qui traverse Martin est sa sexualité. Le hasard faisant bien les choses, il croise Tristan (Thibault Destouches). Martin va habiter chez lui et pour plus de confort dans le studio de Tristan, ce dernier l'incite à dormir à côté de lui dans le clic-clac plutôt que sur des coussins. Là, la révélation de Martin prend forme. Elle vient petit à petit, par touches, pas forcément très fines d'ailleurs, où Martin semble observer ce qu'il n'avait jamais vraiment compris. Cela porte vers la dernière rencontre du jeune homme à la campagne cette fois.

Il s'agit de Bastien (Samuel Fasse) invité chez Jérôme avec Françoise Lebrun. Seul Martin, à vrai dire croit que c'est un hasard. Bastien aidera à l'évasion de Martin. Une scène d'amour sous la douche, une danse sur « Les Tuileries », une chanson de Colette Magny (je ne l'avais pas entendue depuis Donne-moi la main de Pascal-Alex Vincent, on y entendait Melocoton), une deuxième danse sur du madison dans un dancing gay (on remarque à une table Jean-Sébastien Chauvin des Cahiers du cinéma). Et Martin s'évade et s'éveille.

Au fil des saisons données comme des chapitres, de l'automne à l'été, L'Amour debout a été filmé dans cette continuité de temps jusqu'au 14 juillet, l'une des plus belles scènes du cinéma français de l'année, conclusion tendre de ce film choral – et pour une fois l'esprit choral n'est pas forcé, ni usurpé – avec toutes ces jeunes gens qui se retrouvent, debout, devant le feu d'artifices, réconciliés, enfin amoureux. Ils naissent tout à la vie dans ce film modeste et ambitieux, passé très inaperçu à sa sortie. Je l'avais vu en salle en janvier mais il a fallu que je le revois pour encore plus l'apprécier. Presque comme dans le film, il m'a fallu quatre saisons pour écrire sur ce film.



























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