On
s'appelle par son prénom. Daniel, Isabelle, Alice, Gauthier,
Mélinda, Xavier, Delphine. On est dir' comm', dir' cab', philosophe,
écrivaine, éternel étudiant, assistante, relieur. Et on court, on
marche, on file. On ne s'arrête jamais. On est dans une fourmilière,
dans une ruche, on s'affaire sans cesse, on traverse les couloirs de
la mairie, des places, des jardins. Voici les coulisses de la mairie
de Lyon, comme si on y était et d'ailleurs le rythme adopté par
Nicolas Pariser est si haletant qu'on n'a pas le temps de souffler
pas plus qu'Alice. On va vite être à la place d'Alice, on adopte
son regard étonné et candide.
Avec
sa petite robe, son sac en bandoulière, Alice Heimann (Anaïs
Demoustier), la seule de ces jeunes personnages dont on connaîtra le
nom de famille arrive à l'hôtel de ville et se fait conduire dans
un bureau au fin fonds de la mairie, un endroit où on imagine qu'on
mettrait quelqu'un au placard, un endroit d'un service dont le maire
se contrefout. Là voilà dans ce bureau, elle hésite à répondre
au téléphone dans la pièce adjacente. Alice a été accompagnée
là par Mélinda (Nora Hamzawi), au visage rigolo, la seule à porter
des lunettes. On ne saura jamais vraiment quelle est sa fonction.
Isabelle
(Léonie Simaga, absolument géniale) est le personnage le plus
complexe d'Alice et le maire et le plus obscure. Elle est
l'éminence grise du maire. Elle sait tout, elle entend tout, elle
connaît tout. Ce qui est vraiment remarquable dans le film est cet
art de distiller les enjeux grâce à Isabelle, c'est elle qui
relance le récit à chaque apparition à grand coup de phrases
péremptoires et d'assertions cassantes. Elle a des répliques
percutantes qui décide, d'un coup de langue de changer tel ou tel
orientation. Le film aurait très bien pu s'appeler Alice,
Isabelle et le maire. Si Alice est le spectateur du film,
Isabelle en est la scénariste.
On
apprend que Daniel n'est pas content. Qui est Daniel demande Alice.
Encore un simple prénom. Daniel (Antoine Reinhartz) est le grand
communicant de la mairie. Encore plus qu'Isabelle, il pratique la
novlangue. Ce qui donne droit à quelques scènes de réunion pas
piquées des hannetons où on entend ce qu'on peut faire de plus
abscons en matière de politique pour un projet bidon et stupide
« Lyon 2500 » que chapeaute un grand manitou de la
communication, un certain Patrick Brac (Thomas Chabrol) qui appelle
Alice au téléphone sans qu'elle ne réponde, ce qui lui vaut des
remontrances d'Isabelle.
Le
petit bureau d'Alice va s'agrandir, va s'embellir, va surtout
provoquer la jalousie d'à peu près tous ses nouveaux collègues. Le
plus fort est qu'on ose dire à Alice que Daniel est jaloux de cette
promotion aussi rapide qu'injustifiée, en tout cas aux yeux du jeune
directeur de la communication. C'est que face à la logorrhée
verbale, à ces éléments de langage de Daniel, Alice semble opposer
une vision plus « modeste ». C'est le mot « modestie »
qui enclenche tout un processus chez le maire Paul Théraneau
(Fabrice Luchini). On ne l'appelle pas par son prénom, à peine par
son nom, on dit les deux « Paul Théraneau » ou plus
simplement « le maire ».
Elle
est là pour revitaliser ce maire, lui apporter des idées. Ah, les
idées, elle en a forcément puisqu'elle a fait de la philosophie. Le
film apporte un plaisir du langage, du mot rondement choisi (le
premier échange entre Alice et la maire), celui qui a du sens alors
que ceux de Daniel ont perdu tout sens. Paradoxalement, c'est Alice
qui se construit, qui renoue avec un ancien ami qu'elle aurait pu
aimé, ce Gauthier (Alexandre Steiger) encombrée par sa pasionaria
de la politique, cette Delphine (Maud Wyler), deux des acteurs de
Perdrix. Elle rencontre un certain Xavier (Pascal Reneric) en
l'extrayant d'un coup de communication.
Après
avoir vu L'Arbre le maire et la médiathèque d'Eric Rohmer et
appris que Nicolas Pariser aime, comme moi, beaucoup ce film, je me
suis plu à imaginer que le personnage de l'instituteur de Rohmer
aurait quitté son village, aurait fait de la publicité (l'ancien
métier de Paul Théraneau) et par vocation – comme il le dit
lui-même sans rire – serait devenu politicien. Et après quelques
mandats, il se serait lassé. Il se serait isolé dans son immense
bureau dans les ors de la République (en l'occurrence la ville de
Lyon). Cela me semble un parcours logique en 26 ans de vie, une vie à
travers les films.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire