Dans
ce long trajet en yacht entre New York et San Francisco, il ne sera
fait aucune étape à Shanghai. Ce n'est qu'un souvenir, celui de
Elsa Bannister (Rita Hayworth) où elle vécu jadis dans une position
peu enviable, celle de call girl, de femme de petit vertu, de poule
de luxe. Celui qui a emporté le morceau est un célèbre avocat du
barreau, Maître Bannister (Everett Sloane), monstre hideux qui ne se
déplace qu'avec des cannes, le visage carnassier filmé en gros
plan.
Pas
étonnant qu'elle succombe immédiatement au charme de Michael O'Hara
(Orson Welles). C'est une nuit à Central Park, elle se promène en
calèche, il la drague sans vergogne. Il montre sa force (une bagarre
contre trois petites frappes qui l'attaquent dans les fourrés), il
séduit par son sourire et finit par la raccompagner au garage où sa
voiture est garée. Le lendemain, c'est le mari qui va voir O'Hara
pour l'embaucher sur son yacht, après un refus poli, il accepte le
poste.
Chaque
nouveau film d'Orson Welles propose un nouveau défi. Dans La Dame
de Shanghai, c'est tout simplement de filmer sur un vrai bateau
et pas comme cela est fait d'habitude de tourner les scènes
maritimes en transparence. C'est à dire que les acteurs jouent sur
un faux bateau devant une mer qui est projetée sur un écran. C'est
ce réalisme qu'il recherche et qui apporte un sentiment de
promiscuité due à l’exiguïté du lieu. Par définition, un yacht
c'est pas grand.
Cette
promiscuité est développé avec une suite de gros plans des visages
parfois en regard caméra qui alternent avec des plans d'ensemble.
Les gros plans permettent de montrer la sueur de ces corps qui n'en
peuvent plus de s'éviter alors qu'ils voudraient se frotter. Cela
permet aussi de montrer des visages libidineux tel Grisby (Glenn
Anders) l'associé de Bannister qui observe à la longue-vue Elsa
quand elle prend un bain de soleil en maillot de bain.
De
ces corps se dégage une évidente sensualité, Orson Welles chemise
ouverte, les yeux qui déshabillent son actrice. Mais quand celle-ci
commence à porter la veste du Capitaine, sa casquette et à prendre
la barre, c'est le moment où Michael O'Hara est perdu. Il est pris
au piège de la belle Elsa qui exige qu'il l'appelle Rosalie. Il est
au centre de toute l'attention, celle de Bannister qui accepte qu'il
séduise son épouse et celle de Grisby plus perverse.
Dans
ces rapports de classes qui s'établissent entre les riches
(Bannister et Grisby) et les pauvres (Elsa et Michael), c'est de la
domination pure et simple. Ces deux derniers sont des objets, presque
des contrats que les deux premiers ont contracté. Comme Elsa a
épousé Bannister pour quitter Shanghai, Michael accepte un contrat
de dupes avec Grisby qui ricane de son coup. Un contrat bien tordu
qui complexifie encore plus le récit déjà bien noir.
New
York, l'océan atlantique, puis les Antilles ensuite l'océan
pacifique et San Francisco. Orson Welles fait quelques escales où il
filme aux Antilles les habitants avec un point de vue documentaire
sans doute pour masquer la frustration de n'avoir jamais pu sortir
son film brésilien It'a all true. Il filmer Chinatown de la même
manière, caméra à l'épaule. Il filme l'opéra chinois en simple
spectateur avant d'aller dans les coulisses d'un parc d'attractions.
Le
finale ne dure que 4 minutes mais elle est d'une beauté incroyable.
C'est la métaphore d'une descente aux enfers (Orson glisse dans le
toboggan) puis d'un cauchemar éveillé avec les miroirs qui
multiplient les visages, déforment la taille des corps, modifient
les proportions dans un feu d'artifices de coups de pistolet qui
brisent les miroirs. Cette manière d'aller vers l'abstraction est
géniale, c'est la transcription de ce qui passe dans le cerveau de
Michael avant de finir seul. Peut-être a-t-il imaginé tout ce que
l'on vient de voir.
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