Je
n'avais pas revu My own private Idaho depuis sa sortie au
cinéma. J'avais tout juste 20 ans, je ne connaissais rien au cinéma,
j'en avais vu à peine 100 dans toute ma vie (véridique) et je me
rappelle avoir été très déçu par le film. J'en attendais
beaucoup, je m'étais précipité dans une salle pour admirer cette
histoire d'amour entre Keanu Reeves et River Phoenix. Si je raconte
ça, c'est parce que le film a eu deux conséquences sur ma vie,
d'abord, pendant 11 ans, jusqu'à Elephant (effet Palme d'or)
je n'ai vu aucun film de Gus Van Sant. Depuis je me suis rattrapé et
j'ai regardé tous ses films. Ensuite, je me méfie du cinéma
indépendant américain.
Je
retente le coup 26 ans et demi plus tard avec ensuite la lecture des
Cahiers du cinéma qui découvrait Gus Van Sant et avait mis le film
en couverture. C'était Thierry Jousse, alors rédacteur en chef, qui
prenait la plume pour défendre My own private Idaho. Mais
c'était une défense un peu étrange où le critique passe son temps
à tenter d'expliquer que le film n'est pas du cinéma gay, il
s'excuse presque que le film parle d'homosexualité (quel sombre
con). Alors qu'au contraire, Gus Van Sant prend un plaisir évident à
filmer ses deux jeunes acteurs déjà connus aux USA et à en faire
des amants déprimés.
My
own private Idaho parmi tous les films gay de Gus Van Sant (Mala
noche, Gerry, Elephant, Milk) est le plus
coloré, le plus flamboyant, le plus romanesque. Ces couleurs ce sont
d'abord les tenues des deux gars, Mike (River Phoenix) et Scott
(Keanu Reeves). La veste saumonée et le pantalon rouge du premier
(un rapport sans doute avec les poissons qui remontent la rivière
dans ses songes pendant les crises de narcolepsie), le sweat rayé
orange du second. Ce sont des couleurs chaudes qui contrastent avec
le froid des nuits où les deux mecs passent leur temps à tapiner,
grelottant en attendant des clients.
Les
couleurs, elles sont aussi dans les vastes paysages de l'Idaho, la
terre natale de Mike magnifiée par le cinémascope. Des prairies,
des nuages qui filent à toute vitesse, des couchers de soleil et une
route qui coupe ce paysage (Mike trouve que ça ressemble à un
visage avec ces deux arbres tout au fond qui forment des yeux). Mike
s'endort n'importe où, n'importe quand et c'est Scott qui prend soin
de lui quand ils se rencontrent dans un parc à putes mâles de
Portland dans l'Oregon et que Mike tombe et qu'il rêve de chez lui,
de cette vie révolue.
Le
film devient totalement queer atteignant une flamboyance teintée
d'humour dans au moins trois scènes. Celle du sex shop avec toutes
les couvertures de magazines porno où les mannequins s'animent et
discutent de couv' en couv'. Inversement les scènes de sexe sont
muettes et fixes, comme des images arrêtées qui se succèdent
suivant les positions sexuelles des protagonistes. Enfin, la séquence
la plus incroyable est due à Udo Kier en client régulier. Udo Kier
se met à chanter la chanson qui l'a rendue célèbre en 1985 « Der
Adler », avec une mise en scène armée d'une lampe.
Longtemps,
je n'ai pas compris les références à Henri V et à Falstaff avec
l'arrivée de Bob Pigeon (William Richert) et de son fidèle Budd
(Flea, des Red Hot Chili Peppers pour lequel Gus Van Sant réalisera
des clips). Là aussi, il y a de la flamboyance, de la théâtralité
quand Bob se met à raconter en inventant à son avantage la blague
que lui ont fait une nuit Mike et Scott pour se moquer de lui. Bob
Pigeon est le protecteur de tous ces jeunes garçons qui se
prostituent à Portland, il est le père de remplacement de Scott,
lui qui a quitté son vrai père, le maire de Portland (Tom Troupe)
un homme diminué et moribond que Scott affirme mépriser.
Reste
le romanesque échevelé où Mike tombe éperdument amoureux de
Scott, un amour à sens unique qui va devenir plus térébrant que
jamais au fur et à mesure de leur parcours. Ils quittent Portland
pour aller chercher la maman de Mike (Grace Zabriskie dans des
apparitions fugaces sous forme de souvenir) pour ne retrouver que le
grand frère fauché (James Russo) qui vit dans une caravane avant
d'aller dans la campagne vers Rome. La scène la plus fameuse,
souvent imitée, la plus impudique, la plus pudique également est
celle du feu de camp en plein désert de l'Idaho.
Le
feu est au centre, Mike parle seul, il déclare sa flamme – en
toute logique – à Scott. Génial choix des acteurs par Gus Van
Sant, l'hyper expressivité de River Phoenix et le contrôle absolu
des sentiments de Keanu Reeves. Si la scène est poignantes, c'est
moins par la déclaration d'amour que parce qu'elle sépare
définitivement les deux garçons même s'ils restent encore un peu
ensemble dans ce road trip qui va finir par leur définitive
séparation pour arriver à la déchirante scène finale dans le
cimetière où Scott a changé de vie et Mike a plongé dans le monde
de Bob Pigeon. Chacun est mort pour l'autre.
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