samedi 5 octobre 2019

My own private Idaho (Gus Van Sant, 1991)

Je n'avais pas revu My own private Idaho depuis sa sortie au cinéma. J'avais tout juste 20 ans, je ne connaissais rien au cinéma, j'en avais vu à peine 100 dans toute ma vie (véridique) et je me rappelle avoir été très déçu par le film. J'en attendais beaucoup, je m'étais précipité dans une salle pour admirer cette histoire d'amour entre Keanu Reeves et River Phoenix. Si je raconte ça, c'est parce que le film a eu deux conséquences sur ma vie, d'abord, pendant 11 ans, jusqu'à Elephant (effet Palme d'or) je n'ai vu aucun film de Gus Van Sant. Depuis je me suis rattrapé et j'ai regardé tous ses films. Ensuite, je me méfie du cinéma indépendant américain.

Je retente le coup 26 ans et demi plus tard avec ensuite la lecture des Cahiers du cinéma qui découvrait Gus Van Sant et avait mis le film en couverture. C'était Thierry Jousse, alors rédacteur en chef, qui prenait la plume pour défendre My own private Idaho. Mais c'était une défense un peu étrange où le critique passe son temps à tenter d'expliquer que le film n'est pas du cinéma gay, il s'excuse presque que le film parle d'homosexualité (quel sombre con). Alors qu'au contraire, Gus Van Sant prend un plaisir évident à filmer ses deux jeunes acteurs déjà connus aux USA et à en faire des amants déprimés.

My own private Idaho parmi tous les films gay de Gus Van Sant (Mala noche, Gerry, Elephant, Milk) est le plus coloré, le plus flamboyant, le plus romanesque. Ces couleurs ce sont d'abord les tenues des deux gars, Mike (River Phoenix) et Scott (Keanu Reeves). La veste saumonée et le pantalon rouge du premier (un rapport sans doute avec les poissons qui remontent la rivière dans ses songes pendant les crises de narcolepsie), le sweat rayé orange du second. Ce sont des couleurs chaudes qui contrastent avec le froid des nuits où les deux mecs passent leur temps à tapiner, grelottant en attendant des clients.

Les couleurs, elles sont aussi dans les vastes paysages de l'Idaho, la terre natale de Mike magnifiée par le cinémascope. Des prairies, des nuages qui filent à toute vitesse, des couchers de soleil et une route qui coupe ce paysage (Mike trouve que ça ressemble à un visage avec ces deux arbres tout au fond qui forment des yeux). Mike s'endort n'importe où, n'importe quand et c'est Scott qui prend soin de lui quand ils se rencontrent dans un parc à putes mâles de Portland dans l'Oregon et que Mike tombe et qu'il rêve de chez lui, de cette vie révolue.

Le film devient totalement queer atteignant une flamboyance teintée d'humour dans au moins trois scènes. Celle du sex shop avec toutes les couvertures de magazines porno où les mannequins s'animent et discutent de couv' en couv'. Inversement les scènes de sexe sont muettes et fixes, comme des images arrêtées qui se succèdent suivant les positions sexuelles des protagonistes. Enfin, la séquence la plus incroyable est due à Udo Kier en client régulier. Udo Kier se met à chanter la chanson qui l'a rendue célèbre en 1985 « Der Adler », avec une mise en scène armée d'une lampe.

Longtemps, je n'ai pas compris les références à Henri V et à Falstaff avec l'arrivée de Bob Pigeon (William Richert) et de son fidèle Budd (Flea, des Red Hot Chili Peppers pour lequel Gus Van Sant réalisera des clips). Là aussi, il y a de la flamboyance, de la théâtralité quand Bob se met à raconter en inventant à son avantage la blague que lui ont fait une nuit Mike et Scott pour se moquer de lui. Bob Pigeon est le protecteur de tous ces jeunes garçons qui se prostituent à Portland, il est le père de remplacement de Scott, lui qui a quitté son vrai père, le maire de Portland (Tom Troupe) un homme diminué et moribond que Scott affirme mépriser.

Reste le romanesque échevelé où Mike tombe éperdument amoureux de Scott, un amour à sens unique qui va devenir plus térébrant que jamais au fur et à mesure de leur parcours. Ils quittent Portland pour aller chercher la maman de Mike (Grace Zabriskie dans des apparitions fugaces sous forme de souvenir) pour ne retrouver que le grand frère fauché (James Russo) qui vit dans une caravane avant d'aller dans la campagne vers Rome. La scène la plus fameuse, souvent imitée, la plus impudique, la plus pudique également est celle du feu de camp en plein désert de l'Idaho.


Le feu est au centre, Mike parle seul, il déclare sa flamme – en toute logique – à Scott. Génial choix des acteurs par Gus Van Sant, l'hyper expressivité de River Phoenix et le contrôle absolu des sentiments de Keanu Reeves. Si la scène est poignantes, c'est moins par la déclaration d'amour que parce qu'elle sépare définitivement les deux garçons même s'ils restent encore un peu ensemble dans ce road trip qui va finir par leur définitive séparation pour arriver à la déchirante scène finale dans le cimetière où Scott a changé de vie et Mike a plongé dans le monde de Bob Pigeon. Chacun est mort pour l'autre.































Aucun commentaire: