Les
mains tremblent un peu, mais elles parviennent petit à petit, avec
lenteur, à allumer les bougies. L'appartement des Biélutine est
bien sombre, il est plongé dans un clair obscur digne des maîtres
flamands et ce ne sont pas ces bougies allumées par Nina, l'hôte de
Clément Cogitore et de son chef opérateur Sylvain Verdet. Nina
Biélutine s'adresse à eux, dans un français primitif au fort
accent russe, elle leur parle comme s'ils étaient des invités.
Clément
et Sylvain, comme elle les appelle, sont venus filmer ce couple de
vieux russes juifs dans leur petit appartement de Moscou. Cet
appartement constitue leur univers, Ely, l'époux de Nina clame ne
l'avoir jamais quitté et qu'il ne sort jamais. En revanche, les
Biélutine reçoivent souvent, ils ont des invités, Ely ou Nina tire
le lourd rideau qui masque la porte qui les sépare de l'extérieur,
tous s'assoient pour boire et manger.
Comme
pour les bougies, les mains tremblent un peu pour servir la vodka,
pour découper les gâteaux, pour servir les mets. La table est
grande, les convives heureux d'être là, de discuter et au centre de
tout cela Ely et Nina qui racontent ce lieu étrange que le jeune
cinéaste découvre tant bien que mal. Car les Biélutine vivent dans
un musée, le grand-père de Monsieur a pendant des années acheté
des toiles de maîtres.
Les
murs sont remplis de peinture qui valent des millions et l'ensemble
ressemble à un musée secret où seuls quelques privilégiés ont
accès. Ce repas est filmé presque en direct et l'ivresse s'empare
des hôtes comme des invités. Les Biélutine se dévoilent peut à
peu, on apprend par exemple qu'ils sont d'origine italienne et que
Monica Belucci est de leur famille. La joie envahit tout ce beau
monde tout en révélant que ce monde vit ici ses derniers jours.
Rétrospectivement,
Biélutine est le pendant lumineux de Braguino (les
deux courts-métrages sont réunis sur un même DVD), deux visions
absolument opposées de la Russie d'aujourd'hui. Une Russie fermée,
paranoïaque, dégénérée, celle de Braguino filmée en
extérieurs, en pleine lumière, une Russie ouverte, éclairée et
cultivée, celle de Biélutine filmée en intérieur, en
pleine obscurité. L'art distingué de Clément Cogitore est dans ce
simple contraste.
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