Quatre
Italiens descendent d'un train, il fait déjà nuit, ils viennent
pour travailler en Hollande, ils ne parlent pas d'autre langue que la
leur. Parmi ces quatre jeunes hommes, l'un d'eux se distingue, pris
dans son enthousiasme, il oublie sa valise dans la wagon. Comme un
acte manqué. Il grimpe vite et attrape son bagage. Cette valise sera
un leitmotiv, un objet qui le tire vers son passé, qui le rattache à
l'Italie, cet homme Vincenzo (Bernard Fresson) est l'un de ces
nombreux ouvriers immigrés.
Passée
l'arrivée, une fois installés dans leur baraquement, Luciano Emmer
décrit par le menue la première journée de travail. Le ton d'abord
jovial passe vite à une angoisse discrète avec cette plongée dans
la mine. Car Vincenzo et ses camarades sont des mineurs et malgré
leur totale inexpérience, ils prennent cet ascenseur rudimentaire
pour rejoindre le centre de la terre à des centaines de mètres plus
bas. Bientôt la surface se résume à un minuscule trou de lumière.
Le
réalisme de la première bobine, environ 18 minutes, n'est qu'un
moyen de créer du suspense. Il établit la promiscuité entre les
personnages. Vincenzo est supervisé par un ancien mineur, un Italien
comme lui mais du sud quand Vincenzo vient de la région du Pô.
Federico (Lino Ventura) lui enseigne tout ce qu'il sait. Plus les
deux hommes avancent, plus l'espace de vie et de travail s'amoindrit.
Les corps prennent la position horizontal épousant le format du
cadre.
Les
conditions sont rudes d'autant plus que les tunnels dans lesquels
s'enfoncent les mineurs manquent de s'effondrer. C'est sur ce
suspense que fonctionne cette première partie, la plus forte du
film. C'est justement l'effondrement d'une charpente d'un tunnel qui
va sceller l'amitié indéfectible bien que paradoxale entre Vincenzo
et Federico. Ils seront prisonniers des gravats pendant plusieurs
heures, dans l'attente qu'on vienne les sauver, dans l'attente de
revoir ce minuscule trou de lumière.
La
Fille dans la vitrine se poursuit avec une grande ellipse.
Contrairement à ce que d'autres cinéastes auraient pu faire, le
récit ne se poursuit pas avec le secours des mineurs coincés en
bas. Au contraire, rien n'est montré. Luciano Emmer table sur le
traumatisme subi par Vincenzo et que Federico va tenter de lui faire
oublier en allant passer le samedi et le dimanche à Amsterdam. Il a
un projet bien précis pour son ami : aller louer une fille pour
le week-end.
Dans
ce film italien, toute la distribution principale est française. Les
deux filles, celles qui sont dans les vitrines, les deux prostituées
sont Carrie (Magali Noël) et Else (Marina Vlady). Carrie est
l'habituée de Federico, une trentenaire joviale qui a les pieds sur
terre. Elle est déterminée à passer quelques bons moments au bord
de la mer. Carrie a appris quelques phrases en italien pour mieux se
faire comprendre de son client préféré.
Mais
quand elle comprend que le nouveau camarade de Federico a craqué
pour Else, qui elle ne parle pas un mot d'italien, elle comprend vite
que ces deux jours ne vont pas être de tout repos. Else, plus jeune
qu'elle, a un tempérament de cochon, elle n'en fait qu'à sa tête
et refuse la proposition de Federico. Avant plus tard de l'accepter.
Mais entre temps, Federico a bu de nombreux verres et commence à
devenir particulièrement pénible et irritable.
Ce
que le film développe c'est la différence d'esprit entre les deux
cultures, les Italiens ne semblent pas aussi progressistes et ouverts
que les néerlandais. Cela est particulièrement visible dans une
courte scène où Federico, complètement soûl, se rend dans un
dancing gay. Tous les hommes le regardent comme une bête curieuse.
Le regard du cinéaste fait preuve d'une remarquable ouverture
d'esprit pour 1961, il montre des mentalités très opposées,
libérale en Hollande, conservatrice en Italie.
La
valise de Vincenzo redevient l'accessoire essentiel de la fiction. Il
veut rentrer en Italie dès le samedi soir. Cette valise, le
personnage, de plus en plus triste, au visage qui se ferme tandis
qu'il constate l'échec de sa vie, va la chercher à chaque instant,
ne pensant plus qu'à cela et même quand Else veut enfin s'ouvrir à
lui, il passera à côté de quelques bons moments. Il est totalement
pris dans un engrenage qu'il ne contrôle plus.
Pendant
ce weekend, Luciano Emmer rappelle Une partie de campagne, ces
guinguettes, sa barque à deux, ses amours complexes. Lino Ventura
est méconnaissable en doux dur qui chaperonne son jeune ami. Il se
dégage un parfum d'insouciance dans les dernières scènes mais qui
se percute à la réalité de la vie de ces immigrés qui est aussi
triste que celle des prostituées. C'est uniquement unis qu'ils
survivent.
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