A
sa sortie, j'avais fait l'impasse sur Ni le ciel ni la terre
sans doute parce que Clément Cogitore avait été proclamé par
beaucoup (de critiques, de mes amis cinéphiles) de petite génie du
cinéma français, la preuve, ce premier film a reçu le César.
Quelques courts-métrages plus tard (les "russes" Biélutine et Braguino de bonne tenue,
Les Indes galantes bref court-métrage sur du hip-hop en fond
de musique classique, une œuvre présentée au Centre Pompidou pour
le Prix Marcel Duchamp), il faut bien reconnaître
que le jeune cinéaste a un truc en plus.
Ce
truc dans Ni le ciel ni la terre est la conjonction entre un
genre de film peu prisé en France (le film de guerre), des
influences assumées, évidentes, visibles (Stanley Kubrick, Werner
Herzog, John Carpenter, John McTiernan) et le réalisme, la grande
passion récente du cinéma français, avec ses habituels écueils,
caméra portée à l'épaule, jeu introverti des acteurs (Jérémie
Rénier en tête et dans le genre, Swann Arlaud comme Finnegan
Oldfield sont parfaits en figurants de luxe – ils n'étaient pas
encore très connus). Le film tire son sujet de la guerre en
Afghanistan, quelques soldats français surveillent une colline et un
village.
Clément
Cogitore a le génie pour faire exister un paysage, pour dessiner
rapidement la topographie des lieus, pour montrer les rapports entre
les différentes populations. Ce qui frappe dans Ni le ciel ni la
terre est l'aridité des lieux. Quand un jeune paysan afghan
promène sa chèvre ou son mouton au milieu de toutes ces pierres, on
se demande bien ce que la bête peut manger. On ne voit que des
cailloux, que de la rocaille, pas un brin d'herbe, pas un seul arbre.
Tout juste verra-t-on un sympathique reptile se dandiner avec lenteur
sous le regard fasciné de Swann Arlaud. Rien ne vit plus sur cette
terre et sous la terre.
Des
soldats disparaissent pendant la nuit. Ils étaient positionnés hors
du fort et le lendemain, plus personne. Evidemment, le capitaine que
campe Jérémie Rénier, accuse via la voix de son traducteur Sâm
Mirhosseini, les villageois d'avoir enlever ses deux soldats contre
une rançon. L'un des éléments du film est cet échange de langage,
de langues entre les personnages, ces traductions qui ralentissement
l'action tout en augmentant le suspense, car chez les Afghans le ton
est rude et la traduction française est douce, l'espèce de bon gros
géant qu'est Sâm Mirhosseini est le pilier de cette dualité
intégrante au film.
Le
film glisse vers un fantastique non pas domestique mais militaire.
Les taliban que combattent les soldats ont eux aussi des hommes
disparus. Chacun accuse le camp adverse. Là aussi, Clément Cogitore
a une manière proche d'un western de faire apparaître ces
combattants afghans, ils surgissent de terre tels des Indiens
attaquant dans La Charge héroïque de John Ford, mais à la
différence majeure suivante : aucune femme n'est présente dans
Ni le ciel ni la terre, c'est un film d'hommes, plus précisément de
corps d'hommes qui prennent parfois la même couleur de la terre, que
les roches.
Un
peu de Carpenter en se demandant s'il existe une chose qui
vient prendre les corps. Un peu de McTiernan avec ces images
nocturnes filmées, comme dans Basic, grâce à des caméras
infra-rouges, la nuit devient verte. Un peu de Kubrick, ici 2001
l'odyssée de l'espace, sans doute la référence la plus
assumée. Le paysage tel la lune, le trou allumé par de puissantes
lampes et ce piquet qui n'est pas sans rappeler le monolithe. Et ce
mystère irrésolu qui plonge les personnages dans la stupéfaction
la plus totale. Bien-sûr, il se peut que j'exagère mais ce sont
autant des hommages que des références.
Reste
le jeu de Jérémie Rénier, un jeu total à la Werner Herzog au
milieu de cette montagne morte, soit totalement incrédule (la
matière païenne, l'homme est d'abord un soldat), soit totalement
croyant (quand le fantastique prend le dessus, cependant rien de
nouveau est dit sur la religion). C'est cet effet de balance qui
plonge parfois le film dans un typage de personnages au jeu un peu
trop puissant par rapport à son apparence physique, cela vaut aussi
pour la danse de ce soldat aux yeux tatoués sur le dos, moment
d'apesanteur qui ne sert à rien si ce n'est à faire beau. C'est
déjà pas mal.
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