Braguino,
c'est 50 minutes de vie au fin fonds de la Sibérie orientale. A
part la taïga, il n'y a tellement rien là-bas que le générique
donne comme toute localisation la latitude et la longitude du lieu.
La famille Braguine que Clément Cogitore est parti observer (je
regrette de ne pas avoir vu, quand il est sorti, le premier
long-métrage du cinéaste) est dominée par le père, Sacha. Quel
âge peut-il bien avoir ? Difficile de le dire, sa barbe blonde
commence à prendre quelques poils blancs, mais il a des très jeunes
enfants.
Son
russe, il en avale les mots, parle vite, avec un fort accent. C'est
ce qu'il dit qui passionne Clément Cogitore. Avec son épouse
édentée, il ne cesse de maugréer contre leurs voisins, les Kirile.
Beaucoup est dit sur eux, on apprend qu'ils se sont installés après
eux dans ce coin perdu, cherchant également une solitude loin de la
civilisation, qu'ils ont commencé à vite se chamailler, qu'ils se
sont défini une limite infranchissable (une simple clôture) et
qu'ils ne se parlent plus depuis des années.
Les
mots sont durs et le ton violent, papa et maman Braguine traitent les
Kirile de corrompus, de traîtres, d'ordures. Ils vivent en pleine
paranoïa, corroborée par la venue récurrente de visiteurs en
hélicoptère, des hommes fort peu courtois, venus chasser dans leurs
terres vierges. C'est certain pour le patriarche, les Kirile se font
payer pour vendre la forêt à des étrangers. Dans cette même
forêt, où le père va chasser l'ours, scène éprouvante de naturel
où il tue un vieil ours avant de lui ouvrir le bide et de couper ses
pattes.
Ces
pattes d'ours, on les retrouvera aux pieds d'une des filles Braguine.
Les enfants rappellent irrémédiablement ceux du Village
des damnés, la blondeur vive de
leur chevelure, leur silence, les jeux sur la petite île sur
laquelle ils jouent, la chasse aux moustiques sur leur visage. Ils
s'y rendent en barque et parfois les enfants Kirile, encore plus
nombreux, tout aussi blonds, viennent de l'autre rive. Jamais ils ne
se parleront, ils passent leur temps à s'observer en silence, se
narguer, perpétuant la haine de leurs parents.
Avec
ces enfants blonds, le film accède à une certain fantastique, on
plonge dans un univers malsain et inquiétant. Clément Cogitore
manie un art du montage étonnant où, pour accentuer cette
inquiétude, il multiplie les faux raccords, la narration doit
déconcerter. Le film, par bien des aspects, m'a rappelé les
courts-métrages de Jean-Teddy Filippe. Il avait réalisé à la fin
des années 1980 pour feue La Sept une série titrée Documents
interdits, faux documentaires à
l'étrangeté inquiétante. Je la retrouve dans Braguino.
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