La
voix de Jean-Luc Godard est de plus en plus caverneuse, presque
inaudible jouant avec la compréhension de ce qu'il est en train de
dire dans sa voix off du Livre d'image. Non seulement sa voix est
sourde (le film peut être qualifié de dialogues de sourd) mais en
plus elle est juxtaposée avec d'autres sons qui se superposent
toujours dans la volonté du cinéaste de ne laisser entendre que des
bribes choisies avec un sens extrême de précision. Godard pratique
comme personne le montage sonore et ce depuis Une femme est une femme
dans un ensemble de faux raccords étonnants.
Voir
Le Livre d'image à la télé puisqu'il passe sur Arte pendant deux
mois est un exercice de style. C'est une expérience en soi, c'est
sans doute là qu'est le mot expérimental prend tout son sens. Le
Livre d'image pourtant poursuit une forme de collages d'images que
Jean-Luc Godard entreprend depuis 20 ans : The Old place (1999), De l'origine du XXIe siècle
(2000), Liberté et patrie (2002), Les
Trois désastres (2013), Khan Khanne (2014), une série
de films bien plus enthousiasmante que Histoire(s) du cinéma et
d'une beauté à couper le souffle.
Pour
preuve de l'unité de cet ensemble de films et dont Le Livre d'image
serait un aboutissement, une forme achevée, ce sont les extraits
pris entiers que l'on retrouve, surtout ceux de De l'origine du
XXIe siècle, notamment le finale avec Le Plaisir
d'Ophüls, avec cette même note de piano de Hans Otte mais cette
fois sans la musique de Gigi.
Il ne s'agit pas de paresse mais de reprendre le travail, d'en faire
des remakes. C'est ainsi que s'appelle le premier chapitre du film
qui en compte cinq. Chaque image est le remake d'une autre. Rien de
plus, rien de moins.
La
beauté est un jaillissement de couleurs qui explosent sur l'écran,
que ce soit celui du cinéma ou de sa télé. Les sens doivent être
éveillés, l’ouïe et la vue en premier lieu, mais aussi cette
envie de toucher l'écran et par capillarité de toucher cette
pellicule qui n'existe plus, cette pellicule de bobine de film qui se
déroule sur la table de montage dans un coloris étonnant qui
ressemble à s'y méprendre à un chromo, à un paysage au couchant.
Godard n'est pas pingre, il en filme plusieurs, ce sont les seuls
plans qui ne sont pas saturés, dont les couleurs ne sont pas
déformées.
Les
quatre dernières minutes du Livre d'image (c'est une première
dans ses films) délivrent l'intégralité des sources de ses
collages. Avant de découvrir ce générique de fin qui passe très
vite, il est possible de s'amuser à découvrir les titres de ces
films. Les extraits sont mis chacun en contrepoint dans un même
but : opposer la fiction à l'actualité, opposer par exemple
Païsa de Roberto Rossellini
avec un film de propagande de Daech (des scènes d'exécution). Dans
ce flot de 80 minutes d'image, il faut trier et reconnaître les
bonnes des mauvaises images.
Jamais
Jean-Luc Godard n'aura autant mis d'extraits de ses propres films
dans l'un de ses films, lui qui a toujours préféré coller des
extraits des gens qu'il aime (Vertigo, Dr. Jerry et Mister Love, Le Testament d'Orphée). Cette fois, il va d'Anna
Karina (Le Petit soldat) à Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma (seulement les voix des acteurs).
Les Carabiniers, Week-end, One + one, Hélas
pour moi et Allemagne année 90 sont là comme extraits
sonores ou visuels dans une volonté de rappeler que depuis 60 ans
son œuvre n'est qu'un seul film.
La
troisième partie du film est l'une des plus étonnants (beau titre :
« Ces fleurs entre les rails »). Elle est consacrée aux
trains au cinéma de Buster Keaton (forcément) à Sicilia !
des Straub (évidemment). Le train au cinéma va dans deux sens :
l'horreur et cela depuis l'origine du cinéma (La Ciotat) jusqu'en
1945 (Shoah) et vers la morale avec les travellings qu'ils
promettent, selon la formule qu'il a popularisée à défaut de
l'inventer. Cette histoire du train avec cette double portée,
Jean-Luc Godard la ressasse sans cesse.
Qui
d'autre que lui peut rappeler avec un seul de son tombe que Rosa
Luxemburg a été assassinée en 1919, un siècle déjà (chapitre 2
« Les soirées de Saint-Pétersbourg »). Qui d'autre
s'amuse à faire suivre un portrait souriant de Jacques Rivette avec
le Jeanne au bûcher de Roberto Rossellini (chapitre 4
« L'Esprit des lois »). Le cinéaste s'amuse de ces
contrastes et prend un plaisir non feint à tour recadrer, à
modifier le format des plans à l'intérieur du cadre pour là aussi
heurter les raccords.
« Pour
ma part, je serai toujours du côté des bombes » dit cette
voix lugubre en fin de film. La deuxième moitié du film est dédiée
à cette autre obsession qui enveloppe tout le cinéma de Jean-Luc
Godard depuis Ici et ailleurs, le Proche Orient. Ce n'est pas
pour rien qu'il intitule ce cinquième chapitre (« La Région
centrale ») car c'est bien cela, cette région du monde est au
centre de son cinéma depuis plus de 40 ans. Il n'est pas certain de
que ces 45 minutes éclaircissent plus sa pensée mais là encore, il
rappelle qu'il n'a jamais changé d'avis tout en soulignant avec des
extraits de Chahine et Kiarostami que seul le cinéma est son beau
souci.
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