Circonscrire
le terrain, en dessiner la topographie, détailler chaque recoin de
l'école de Nira (Shavit Larry) l'institutrice et de Yoav (Avi
Shnaidman) l'élève de 5 ans, charmant bout de chou aux cheveux
châtains. Il convient pour Nadav Lapid d'appréhender cette école
de Tel Aviv, de montrer la grande salle de classe, la pièce où les
enfants font la sieste, la cour de récré avec son traditionnel bac
à sable, une école dans un quartier cossus, une école pour riches
parents, une école de privilégiés.
Yoav
est souvent le dernier enfant à partir de l'école, avec son long
short et son t-shirt trop grand, son petit air boudeur, il est
récupéré le soir par sa nounou Miri (Ester Rada), une jeune
apprentie actrice. Soudain l'enfant se met à faire les cent pas, des
courts allers et retour. Miri demande rapidement un stylo à
l'assistante scolaire, s'accroupit et commence à écrire. Yoav
invente un court poème en direct, sans fierté, avec sa petite voix
de marmot. Nira écoute stupéfaite la facilité avec laquelle il
crée.
Stupéfaite
parce qu'elle essaie elle aussi d'écrire des poèmes, en vain. Elle
participe à un atelier dirigé par un prof cool et encourageant
(Gilan Ben David). Cet atelier est le pendant adulte de sa classe et
ici règne dans la plupart des scènes où il est décrit la jalousie
entre les élèves, puisqu'on peut les appeler ainsi, notamment cette
jeune femme gangrenée par le politiquement correct et qui voit dans
chaque poème de quoi donner des reproches, y compris quand Nira
déclame les vers écrits la veille par Yoav.
Nira
se donne une mission, écrire les poèmes de l'enfant. Cette mission
elle se l'attribue un soir quand elle dîne avec son mari (Lior Raz).
Ce troisième décor est celui d'une vie terne faite de routine, le
repas suivi d'un petit coup avec son mari qui se fout à poil dans le
couloir. Le sexe est triste mais surtout elle semble s'ennuyer en
permanence et ne penser qu'à Yoav et à ses poèmes. Son appartement
est le lieu du conformisme dépeint ici par la volonté de leur fils
de s'engager dans la vie militaire, célébrée ironiquement par une
soirée dansante.
Nira
a bien conscience de sa propre banalité, de son conformisme
intérieur qu'elle tente de masquer en prenant des cours de poésie
et c'est ce qui la ronge. Nira est en ce sens une métaphore de la
colonisation. En volant les poèmes de Yoav pour se faire mousser,
pour se créer une identité qui oblitérerait sa superficialité,
elle dépasse l'entendement. Elle se crée une obsession, recueillir
tous les poèmes de l'enfant et refuse de faire autre chose, quand le
môme préfère avec son copain Assi entonner des chants entendus sur
les stades de foot.
Ce
terrain décrit plus haut est un terrain de chasse. La force de
L'Institutrice est de dévier inéluctablement vers l'angoisse. Cela
commençait avec ces regards caméra des enfants vers elle, cela
continue avec son attitude molle qui contraste avec la violence de
ses sentiments. Elle fait tout pour éliminer ses ennemis, Miri en
premier lieu, clamant au père de Yoav qu'elle vole les poèmes. Pour
soustraire l'enfant à ce père qui refuse qu'il écrive des poèmes,
elle l'enlève pour une virée au calme apparent mais d'une violence
inouïe.
C'est
cela le cinéma de Nadav Lapid, montrer que derrière les apparences,
derrière ce gentils yeux de cette agréable institutrice qui ne dit
pas un mot plus haut que l'autre, derrière ce sourire effacé, tout
un continent de haine rentrée n'attend qu'à se répandre sur les
autres. Pas de scènes choc, pas de twists infernaux pour surprendre
le spectateur et encore moins de musique flippante – si ce n'est un
tube de l'été dans cette station balnéaire touristique, l'horreur
incarnée, le film est bien plus retord et complexe que cela.
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