Malavida
ressort en salle en ce moment quelques films de Jerzy Skolimowski
dont Travail au noir avec en tête d'affiche Jeremy Irons
encore jeune, pas tout à fait connu et portant une belle moustache,
moyen idéal pour incarner Nowak un Polonais qui débarque à Londres
avec trois de ses compatriotes. L'arrivée à l'aéroport d'Heathrow
est un morceau presque comique avec le passage à la douane où les
quatre Polonais écoutent pour la première fois un Britannique
massacrer leur nom de famille quand il contrôle leur identité.
Ils
n'ont rien à déclarer et d'ailleurs seul Nowak parle anglais, les
trois autres ne disent pas un mot, à peine quelques phrases en
polonais. C'est qu'ils ne sont pas là pour ça, ils ont une mission
donnée par leur « patron », resté à Varsovie :
ils doivent rénover un appartement dans un petit quartier
résidentiel pour ce « patron ». Les guillemets sont là
pour reprendre le mot de Nowak. Ce patron, on ignore si c'est un
cacique du Parti Communiste mais il leur a donné 1200£ pour les
travaux, faisant croire à la douane qu'ils sont venus acheter une
voiture d'occasion.
Le
récit de Travail au noir est ramassé sur une courte période,
il faut faire rentrer ce mois pour lequel les quatre hommes ont eu un
visa en 94 minutes chrono. C'est bien d'une course à la montre dont
il s'agit que Jerzy Skolimowski filme avec entrain. Les travaux ne
tardent pas à démarrer à peine installés dans ce taudis. Les
voisins, surtout ce vieux monsieur qui ne demande rien d'autre
qu'être tranquille, va être harassé par les travaux. C'est à
grands coups de pioche que Nowak et les trois autres abattent les
murs et les cloisons, non sans quelques dégâts.
L'un
des motifs majeurs de la mise en scène est la chute des objets, le
trébuchement des personnages, l'écroulement des fondations. Rien ni
personne ne reste debout, tout est brinquebalant et menace de
s'effondrer. Derrière la maladresse d'à peu près tout le monde
dans ce maison, le film déploie un étrange sens du burlesque qui
vient se confronter à la réalité, ce qui aurait pu n'avoir qu'une
fonction comique (et j'imagine ce qu'en aurait fait Jerry Lewis) se
transforme ici en tragique dans cette absence de rigueur dont ils
font preuve.
Je
ne connais pas d'autre film que Travail au noir où l'Histoire
semble analyser aussi rapidement et avec une telle acuité. On peut
parler dans ce cas précis d'un sens aiguë de l'Histoire. Ce qui
arrive est le coup d'état en Pologne à Noël 1981, vu à travers la
télévision comme partout en Occident avec des images de l'info.
Puis c'est le téléphone qui est coupé entre Londres et Varsovie,
tous les quatre avaient l'habitude de téléphoner à leurs épouses
le dimanche. Chose qui leur est désormais interdite suite à l'état
d'urgence.
Nowak
décide de ne pas dire aux autres que la Pologne subit un coup
d'état. Il décide de continuer à les faire trimer pour finir les
travaux à temps. Mais l'argent vient vite à manquer et les galères
s'accumulent. De la même manière qu'il trébuche, il truande chaque
jouer pour fournir la bouffe dans un jeu du chat et de la souris avec
la surveillante d'un supermarché. Il se débrouille pour voler des
aliments, il vole un vélo et va tout faire pour continuer de cacher
la vérité à ses trois compatriotes, là encore comme une course à
la montre du mensonge.
La
photo d'Anna, l'épouse de Nowak, trône au milieu de la « chambre »
dans laquelle il dort. Anna est un rappel de la Pologne natale. Pour
son retour dans son pays 40 ans après l'avoir quitté, Jerzy
Skolimowski avait titré son film Quatre nuits avec Anna. Cette Anna
semble établir un lien secret entre les deux films, une passerelle
entre des exilés involontaires dans une ville qui ne veut pas d'eux
malgré les affiches Solidarnosc qui couvrent les murs. Leur retour,
armés de caddies, est encore une fois sur un mode burlesque et
tragique mais encore plus mélancolique.
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