La
gageure de Julien Duvivier est de montrer le changement d'époque
dans ce Paris inspiré d'Emile Zola mais qui prend des atours
contemporains, les années 1920. Dita Parlo incarne ainsi cette jeune
Denise Baudu qui débarque de sa province (la campagne ou la petite
ville, le film ne le précise) pour arriver à Paris. Sa bonne
bouille, son visage rond et ses yeux toujours étonnés sont
parfaits, la jeune femme observe ce mouvement perpétuel de la vie
urbaine, les voitures, les tramways, les passants, personne ne
s'arrête jamais sauf elle avec ses valises sous les bras, encombrée
comme personne, ne sachant pas vraiment quoi faire.
Sa
fascination pour la vie moderne passe par les grands magasins.
L'enseigne d'Au bonheur des dames lui en met plein la vue. Mais avant
de rentrer dans l'antre de la consommation, Julie Duvivier, comme
toujours, explore la limite qu'elle devra franchir, la frontière à
traverser, la rue qui sépare le grand magasin où ça grouille de la
boutique de tissus de son oncle où presque plus aucun client ne
vient acheter quoi que ce soit. Une seule rue sépare ces deux
mondes. Certes Julien Duvivier en fait beaucoup, appuie sur les
différences avec emphase, manière de donner un message clair sur
les grands qui écrasent les petits.
La
première réflexion de Denise est de suggérer qu'elle se fasse
embaucher par le grand magasin. L'oncle n'est pas ravi, mais elle
traverse la rue. La découverte de l'intérieur du magasin est
exceptionnelle, une plongée dans une ruche, une traversée en caméra
subjective dans un plan séquence, très impressionnante. Cela a été
filmé en décor naturel, aux Galeries Lafayette. Cela augmente
d'autant le réalisme du film qui consiste à montrer les rapports
entre employés, contremaîtres et employeurs. Car Denise est d'abord
embauchée pour devenir une éventuelle mannequin, on découvre
d'ailleurs comment les modèles présentent les vêtements.
Denise
est fort mal accueillie, c'est le moins qu'on puisse dire par l'un
des contremaîtres, un moustachu, un type plutôt costaud à l’œil
mauvais qui fait tout pour la brimer, il décide même de la virer.
L'homme a créé une alliance avec une autre mannequin, ils se font
des clins d’œil pour humilier Denise, pour la rabaisser, pour la
faire craquer. Seulement voilà, Mouret (Pierre de Guingand) le
patron tombe sous le charme de la jeune femme. Il ne lui révèle pas
tout de suite son statut, elle croit qu'il est un client. Le film
montre la violence des rapports sociaux, chacun lutte contre l'autre
dans une guerre larvée et sournoise.
Mouret
cherche à agrandir son magasin et pour ça il doit virer l'oncle de
Denise. Il se fait aider par un mécène, un certain Hartmann
(Adolphe Candé), nom qui déguise mal Haussman qui a tant modifié
Paris. Le film est muet mais ce qui est mis en avant est le son
terrible des travaux autour de la boutique des Baudu avec ses murs,
briques et charpentes qui s'effondrent. Au spectateur d'imaginer ce
vacarme tandis que l'oncle Baudu souffre le martyr de voir sa vie
détruite si vite. Quelque chose de quasi expérimental est façonné
par le cinéaste suivi ensuite par la confusion mentale quand le
monde de Denise s'effondre.
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