Il
faut essayer d'imaginer la tête des spectateurs de TF1 au milieu de
l'année 1986 quand Grandeur et décadence d'un petit commerce de
cinéma est passé dans la case Série Noire que la chaîne,
alors publique pas encore dans le « mieux disant culturel »
cher à Bouygues et Mougeotte, programmait alors le samedi soir face
à Michel Drucker. Ce téléfilm est loin des canons télévisuels et
proche des essais que Jean-Luc Godard commençait à tourner à
l'époque (il entamera Histoires(s) du cinéma juste après).
Le
cinéaste sortait de Détective, la mode était au polar, et Grandeur
et décadence semble en annoncer la fin, comme un cycle qui se
termine. La télé parle de cinéma et ce sont les deux Jean-Pierre
les plus connus du cinéma français qui viennent faire acte de
présence. D'ailleurs, il est assez étonnant que Mocky n'ait jamais
employé Léaud dans ses films, ce sera la seule fois que les deux
hommes soient ensemble au cinéma. C'est sans doute cela le geste le
plus fort du film, réunir deux figures inédites.
Le
scénario est le point noir du cinéma de Godard, à la télévision,
pas mieux. En guise d'histoire, rappelons-le, censée être adaptée
d'un roman (noir) de JH Chase, ce sont deux archétypes que les
Jean-Pierre représentent. Mocky prend le nom de Jean Almereyda (le
vrai nom de Jean Vigo) et Léaud celui de Gaspard Bazin, comme le
fondateur des Cahiers du cinéma. Le premier est producteur de cinéma
(mais que peut-il bien produire ?) et le second est réalisateur
et fait passer des castings. Tout le monde clame que « Gaspard
est bon pour les castings ».
Les
castings constituent l'essentiel de l'action de Grandeur et
décadence. Les demandeurs d'emploi défilent devant la caméra vidéo
de Caroline Champetier. Ils donnent deux numéros : téléphone
et sécu. Le comptable prénommé Reynald (le vrai comptable de la
production du film), les yeux sur sa calculette, annonce qu'ils
seront payés 20 francs brut et demande chaque fois à combien se
montent les charges sociales (1,81 franc), il donne enfin des pièces
à tous ces acteurs reçus dans les bureau de Albatros Films devant
un Gaspard excité et vitupérant (ah ! Jean-Pierre Léaud et
ses gestes brusques)
Ces
chômeurs, debout, sortent les uns après les autres un ou deux ou
trois mots d'une longue litanie sur les vivants contre les morts,
puis on inverse les bouts de phrases dans une volonté d'absurde
(comme dans Made in USA, parait-il aussi adapté d'un roman
noir). Dans les bureaux, ils passent devant les affiches de Jour
de fête, de L'Avventura et de La Ruée vers l'or.
Puis, quand le film d'Almereyda ne se fera pas (là est le nœud du
roman noir, cet argent qui a disparu, sans doute une escroquerie), le
local devient le lieu d'un casting de danseurs.
L'épouse
de Jean, Eurydice (Marie Valera) veut devenir actrice (elle ressemble
à Dita Parlo, l'actrice de La Grande illusion), Jean
Almereyda rencontre Godard qui vient voir Rassam (« il est
mort »), qui vient faire un film avec Romy Schneider (« elle
est morte aussi »). On cause d'argent, celui qu'on donne à
Polanski alors que Jean pourrait en faire 10 avec cet argent. « Quel
est le problème ? » dit Godard. Le budget de ce téléfilm
a dû être minuscule, et c'est dans cette mise en abyme avec
l'intervention de Godard acteur que le film vit un peu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire