Sans
doute faut-il commence par dire ce que Vers l'autre rive, le
nouveau film de Kiyoshi Kurosawa n'est pas : un film de fantômes
qui fait peur, contrairement à Kaïro où les morts
revenaient prendre la place des vivants dans une guerre destructrice.
Vers l'autre rive s'ouvre avec le visage d'une infinie
tristesse, celui de Mizuki (Eri Fukatsu), jeune veuve qui donne, tant
bien que mal, des cours de piano à une enfant. Depuis la disparition
de son mari Yûsuke (Tadanobu Asano), Mizuki a perdu le goût de la
vie.
Elle
rentre le soir dans son lugubre appartement. La tentation du cinéaste
de nous faire peur, de faire sursauter est balayée en un plan.
Yûsuke apparaît là, dans la pénombre de l'appartement. Il
explique, à demis mots, ce qui s'est passé trois ans plus tard. Il
s'est laissé mourir et dévorer par des crabes au bord d'une plage.
L'explication se fait sur un ton monocorde, sans aucune émotion,
comme si tout cela était naturel. Mizuki est à peine étonnée de
voir le fantôme de son défunt mari. Maintenant, elle ne veut plus
qu'il s'en aille.
Plutôt
que disparaître dans les limbes, Yûsuke propose à son épouse de
faire un voyage. Ils vont dans la campagne japonaise en train ou en
bus pour découvrir les derniers lieux où le fantôme a vécu. Avec
malice, Kiyoshi Kurosawa lance de fausses pistes, notamment avec les
enfants. L'un d'eux vient poser une main sur Yûsuke. Les enfants ont
peut-être un pouvoir de discerner les fantômes ? Le film
préfère rester dans le mystère sur cette éventualité. Avec
ironie, on voit Yûsuke parler à un agent de la gare, alors que
Mizuki pensait être seule à voir son mari.
L'idée
maîtresse de Vers l'autre rive est justement de ne jamais
savoir quand le couple tombe sur un fantôme. La première étape du
voyage est chez un vieux monsieur, livreur de journaux. Kiyoshi
Kurosawa développe sa manière de montrer la surnaturel. Un simple
raccord permet de passer d'un plan où on voit le fantôme à un plan
où il n'est plus dans le cadre. Là, Mizuki a bien compris (et le
spectateur aussi), mais parfois c'est bien plus difficile, par
exemple dans une autre étape où un fantôme vieillard croit que sa
femme vivante est un fantôme.
Dans
ce parcours buissonnier, Mizuki découvre un mari dont elle ignorait
beaucoup de choses. Yûsuke a exercé de nombreux métiers durant sa
vie de fantômes, comme s'il avait des dons naturels. Livreur,
cuisinier ou professeur de sciences. Ces révélations troublent
moins Mizuki que le fait d'apprendre qu'il a eu une maîtresse. Elle
lui en veut d'autant plus que cette femme, à la jeunesse éclatante,
lui rappelle tout ce qu'elle a perdu depuis que Yûsuke est décédé.
Elle lui rappelle aussi que son mari a décidé de fuir leur mariage.
Si
les apparitions des fantômes ne font pas peur, leur passage vers
l'autre rive, soit l'au-delà sont les moments forts de chaque étape.
Chez le vieux livreur de journaux, c'est le passage d'un univers très
coloré à une image grisâtre. Ailleurs, c'est un visage qui
s'obscurcit jusqu'à n'être plus éclairé du tout dans le cadre.
Ailleurs, c'est une brume épaisse qui enveloppe le mort, mais une
brume totalement artificielle. Et on découvre cette cascade
mystérieuse dont il est dit qu'elle est la porte vers l'autre monde.
Un enfant encourage Mizuki à traverser cette porte.
Tout
ces passages en forêt et dans la nature font penser aux films
d'Apichatpong Weerasethakul. Chez les deux cinéastes, le surnaturel
est ordinaire et banal, les discussions sont badines et ont pour
sujet les relations des personnages avec les fantômes de leur passé.
L'effet sur la spectateur est d'ailleurs assez similaire, une sorte
d'état de stupéfaction, proche de la léthargie, agrémenté de
très courts moments de somnolence. Comme si leurs films étaient une
succession de rêves que nous, spectateurs, ferions, dans la salle de
cinéma.
1 commentaire:
Un film magnifique et émouvant. Ou comment parler de la mort et de ses mystères avec tact et talent . Kurosawa est un maître du genre . J'ai beaucoup aimé la belle prestation de la comédienne Eri Fukatsu . Le prix de la mise en scène , comme vous le dites, était fort bien mérité pour ce bijou cinématographique.
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