Se
lancer dans une séance de Casino,
c’est faire une plongée en apnée dans le monde des salles de jeux de Las Vegas.
Pendant près de 40 minutes, Martin Scorsese prend un malin plaisir à donner un
tel flot d’informations sur les casinos et leur fonctionnement, qu’on est
parfois pris d’étourdissement. Comment Sam Rothstein (Robert De Niro) a pu se
faire nommer à la tête du casino le Tangiers sans avoir de licence, comment on
fait en sorte de plumer les clients, comment une partie de l’argent part au
« pays » pour les parrains, comment chacun surveille l’autre, comment
Rothstein se débrouille pour que les élus locaux et les shérifs ferment les
yeux sur les activités du Tangiers.
Plus
limpide que n’importe quel documentaire sur un casino, ces quarante premières
minutes ne se contentent pas de prendre par la main du spectateur pour une
visite des lieux. Martin Scorsese annonce également tous les enjeux du récit de
Casino. Sam Rothstein, le Juif placé
là par les parrains pour rassurer est un homme tatillon. Il va prendre en
grippe l’un de ses employés, beau-frère du shérif qui se prend pour un cow-boy.
Nicky Santoro (Joe Pesci), ami d’enfance de Sam, est l’Italien violent et
impulsif. Braqueur de banques, il décide de mettre à sac Las Vegas avec ses
sbires. Danger public et fidèle soutien de Sam, il est instable et
imprévisible. Ginger (Sharon Stone) est une prostituée qui vient plumer les
clients fortunés. Sam Rothstein va en tomber amoureux et l’épouser.
Le
film élabore un design sonore très sophistiqué. Comme dans les films de Godard
de la même époque, Casino superpose
plusieurs couches sonores. Les dialogues intra-diégétiques des personnages, le
son métallique du casino (l’argent qui tombe, les bruits de fonds, les machines
à sous), la musique de la bande originale composée de chansons ou de musique
symphonique (on reconnait la musique du Mépris
par Georges Delerue) et les voix off multiples par les personnages principaux
et certains seconds rôles, tel Piscano le bras droit de Nicky. L’oreille du
spectateur est constamment en éveil. Ce montage sonore quasi expérimental
s’avère d’une lisibilité incroyable, donnant forme au chaos que subissent Sam,
Nicky et Ginger.
Les
trois personnages principaux sont de trois horizons opposés. Sam Rothstein est
un grand amateur des costumes aux couleurs vives. Toute la palette y passe,
cravates roses, chaussures bleues, veste orange, il fume avec un
porte-cigarette. Symbole du nouveau riche, Rothstein a un mauvais goût évident.
Il suffit de voir l’intérieur de sa maison kitsch à souhait, mais n’est-on pas
à Las Vegas. Nicky Santoro est à l’opposé. Il conservera tout le film son
costume étriqué de porte-flingues italien. Ginger n’aime rien tant que les
tenues à la mode (le film couvre la période disco 1973 à 1983), les fourrures, les
bijoux brillants. Elle n’arrivera jamais à aimer son époux, lui préférant son
ancien mac (James Woods), un escroc minable.
Casino est un récit linéaire sur à peu près dix ans,
hormis la séquence de générique (réalisée par Elaine et Saul Bass, un must du
générique) située en 1983 et digne du Grand
alibi d’Hitchcock. Tout se déroule à Las Vegas. Les personnages sortent
rarement du casino Tangiers ou de la grande maison des Rothstein, sauf quelques
voyages à Kansas City chez les vieux Italiens qui tirent les ficelles. Le film
joue sur trois registres, la comédie avec toutes ces magouilles pour faire du
casino un business, le film noir avec comme figure centrale le sinistre Nicky
et la tragédie amoureuse entre Sam et Ginger. Le film est un maelstrom de
personnages et de récits aussi passionnants les uns que les autres.
Film
somme, foisonnant et d’une incroyable modernité, Casino est le dernier film que Martin Scorsese a tourné avec Robert
De Niro (mais on annonce une nouvelle collaboration pour bientôt). L’acteur est
impérial, souriant rarement tel un Sphinx, dominant tel un empereur son
domaine. Ses engueulades avec le personnage de Sharon Stone (son meilleur rôle,
et de loin) sont parmi les meilleurs scènes du film, elle hurlant contre lui,
lui ne bougeant pas même un sourcil, n’élevant pas la voix tout en violence
rentrée. Joe Pesci améliore sa partition d’homme violent déjà radicale et
sublime dans Les Affranchis. Allez,
j’ose, Casino est le meilleur film de
Martin Scorsese.
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