Dans
les films d'Hirokazu Kore-eda qui parlent de l'enfance, la douceur
est proportionnelle à la cruauté de la situation vécue. Une mère
qui laisse le frère aîné s'occuper de ses petits frères et sœurs
dans Nobody knows (2004), deux frères séparés qui veulent
se retrouver à mi-trajet dans I wish (20011), deux garçons
échangés à la maternité qui retrouvent leur famille d'origine
dans Tel père tel fils (2013) et trois sœurs qui accueillent
leur demi-sœur jamais rencontrée dans Notre petite sœur. La
jeune Suzu (Suzu Asano), 15 ans, qui vit à la campagne se retrouve
orpheline de père. Ce dernier avait quitté le foyer familial et
abandonné ses trois autres filles pour une autre femme, décédée
depuis. Le père s'étant remariée, la sœur aînée Sachi (Haruka
Ayase) propose à Suzu de venir habiter dans la vieille maison
familiale, où « il fait bon vivre l'été mais qui est bien
froide l'hiver ».
Les
quatre sœurs ont évidemment des caractères bien différents. Sachi
est infirmière, elle reproduit le schéma paternel puisqu'elle sort
avec un homme marié, par ailleurs le médecin pour lequel elle
travaille à l'hôpital. La deuxième Yoshino (Nagasawa Nasami) est
guichetière dans une banque. Elle se laisse toujours avoir par les
garçons qui n'en veulent qu'à son argent. Très coquette, elle
pique les fringues de Sachi. La troisième Chiko (Kaho) bosse dans un
magasin de sports tenu par un gentil gars aux cheveux crêpés. Un
peu garçon manqué, mais la tête sur les épaules. Ses deux sœurs
ne comprennent pas son choix de vie, ni ses étranges goûts
amoureux. Pourtant, c'est elle qui s’avérera avoir la vie la plus
normale des trois. Comme l'annonce Chiko à Suzu, les frangines se
chamaillent souvent, mais elles font front quand tout va mal. Et ce
qui va mal dans cette vieille maison de la campagne japonaise, c'est
d'être seuls ensemble.
Pour
ne pas être seules, les filles se rappellent quelques souvenirs
familiaux. Elle regardent des photos de ce père (photos que nous ne
verront jamais). Chiko confesse n'avoir presque plus aucun souvenir
de lui. Quand la mère des trois sœurs vient faire une visite, toute
la rancune de Sachi peut s'exprimer, elle tient sa mère responsable
du départ de son père. Les souvenirs reviennent aussi en mangeant
les maquereaux frits, les gâteaux de haricot rouge ou cette tartine
faite à partir d'algues que Suzu est allée pécher elle-même et
que son père lui préparait jadis, ce ragoût au curry que prépare
Chiko pour Suzu, certaine qu'elles ont le même goût culinaire. On
mange beaucoup, souvent à la maison et aussi dans le restaurant du
coin, centre névralgique du souvenir commun mais qui menace de
fermer. Il symbolise ce passé qui doit s'évanouir au fur et à
mesure que les saisons passent.
Les
quatre sœurs se transforment au contact les unes des autres. Suzu,
en tant que personnage principal, est au centre de cette
transformation, telle la quadrature du cercle. Elle doit refaire sa
vie. Au lycée, elle se lie d'amitié avec Futa (Ohshirô Maeda), un
lycéen, et intègre l'équipe de foot. Quand elle marque son premier
but, ses sœurs célèbrent cet événement avec de la liqueur de
prunes maison. Futa lui fait découvrir ce qui deviendra ses
prochains souvenirs : une randonnée en vélo sous un tunnel de
cerisiers en fleur (beau moment), une virée en mer pour observer les
feux d'artifice (autre beau moment). La douceur de Notre petite
sœur pourrait être vue comme de la mièvrerie. Elle est
apaisante et revigorante évoquant les films campagnards de Mikio
Naruse dans une volonté de renoncer à tout sensationnalisme. Ce sont les petits rien qui font les grands touts.
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