Contrairement
on ce que l'on peut lire partout, Une
jeunesse allemande, n'est pas
un documentaire. Ou pas seulement. Le premier long-métrage de Jean-Gabriel Périot,
auteur d'une joli nombre de courts-métrages visibles sur son site
perso (http://www.jgperiot.net/)
n'est pas non plus une fiction, comme on l'entend habituellement.
Cela se fait beaucoup dans le roman actuellement, prendre une figure
connue et écrire autour des faits. Le cinéaste l'applique au
cinéma. Documentaire contre fiction, match nul. Une
jeunesse allemande a pour
sujet le groupe d'extrême gauche et terroriste Fraction Armée Rouge
(Rote Armee Fraktion) qui sévit dans les années 1970. Mené par
Ulrike Marie Meinhof (1934-1976), le récit court sur une dizaine
d'années, du milieu des années 1960 à son décès. Elle est cette
jeunesse allemande qui occupe le titre du film, et sûrement pas la
jeunesse allemande.
Plutôt
que reconstituer, la vie, le travail et la mort de Meinhof, comme
tous les biopics récents et à venir, Jean-Gabriel Périot choisit
une voie peu commune, les archives. Extraits d'émissions de
télévision, courts-métrages conçus par les amis de Meinhof,
extraits de films (Vladimir et Rosa de Godard, Zabriskie
Point d'Antonioni, L'Allemagne en automne de Fassbinder).
Tous sont montrés de manière chronologique, sans commentaires
extérieurs. Le spectateur est ainsi plongé dans le présent,
suivant un récit linéaire, une histoire d'un groupe de jeunes gens
d'une vingtaine d'années. On peut être, au début, décontenancé
par l'absence de contexte ou le manque de repères historiques, mais
à peine plus que par des fictions historiques (au hasard American
sniper de Clint Eastwood ou The Program de
Stephen Frears) sur des personnages controversés. On est très
vite tenu en haleine par ce réel qui dépassera la fiction.
Ulrike
Meinhof est une journaliste féministe et marxiste. Elle écrit dans
le magazine Konkret et défend ses idées radicales. Son discours est
rodé et elle le développe aussi à la télévision où elle est
souvent invitée, faisant souvent figure d'avocat du diable face à
un plateau entièrement composé d'hommes. Il se dégage de son
visage alors, lorsqu'elle s'exprime clairement face à eux, une
ironie mordante. Peu importe qu'on soit d'accord, elle sait
convaincre. Elle rencontre des amis (le journaliste Andreas Baader,
le cinéaste Holger Meins, l'actrice Gudrun Esslin) qui partage ses
idées. Le film suit les événements qui cristallisent leur
radicalisation, soit le passage d'un discours théorique à la
pratique terroriste : un manifestation contre le Shah d'Iran,
une lutte contre les journaux de droite Bild et Die Welt, des
courts-métrages de propagande, dont un où, symboliquement, ils font
flotter un drapeau rouge dans les rues de Berlin.
Quand
le groupe se met au terrorisme, les images commencent à manquer. Ils
vivent dans la clandestinité, ils sont soutenus par d'autres groupes
terroristes. En tout cas, ce n'est plus eux que l'on voit sur
l'écran. On découvre les dégâts causés par les attentats, les
avis des gens de la rue sur ces événements (cette fameuse opinion
publique), le Chancelier Helmut Schmidt ou le président du parti
d'opposition Helmut Kohl. La machine de guerre anti Meinhof est
puissante, à juste raison, mais apparaît aussi radicale et violente
que celle de la RAF. Sur le terrain de l'idéologie, le pouvoir gagne
toujours. Il ne s'agit pas pourtant pour Jean-Gabriel Périot de
montrer les deux opinions, d'abord Ulrike puis le pouvoir mais de
rester dans la morale cinématographique : ne pas reconstituer
les attentats, ne pas montrer la mort au travail. Les dernières
minutes d'Une jeunesse allemande montrent le cinéaste Rainer
Werner Fassbinder dénoncer tout le gâchis qu'a constitué la RAF,
soit la fin des idéaux et de l'idéologie.
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