Une
fois n’est pas coutume commençons par la fin, avec ce long et lent
générique où le nom de chaque interprète apparaît en grosses
lettres. Mâtin, quelle belle distribution, Juliette Binoche en tête,
artiste parisienne qui va consulter un voyant en toute fin de film
(une séquence d’un bon quart d'heure avec ce générique qui
commence à défiler au milieu de la consultation). Et ce voyant est
incarné par Gérard Depardieu, nouveau venu dans l’univers de
Claire Denis, un unique séquence où il évoque tous les personnages
vus depuis le début, il faut dire que le personnage de Juliette
Binoche ne cesse de passer d'un homme à un autre. Son travail
artistique, on le voit dans un seul plan en plongée, où elle peint
à grand coup de pinceau du noir sur une toile blanche et ce qu’on
découvre ressemble à un visage d’homme.
Avant
de parler des hommes de la vie d’Isabelle (le prénom du personnage
de Juliette Binoche n’est donné que tardivement dans le film,
enfin des vrais et bons dialogues), évoquons rapidement ceux qui
sont dans ce milieu de l'art contemporain. Son agent jouée par
Josiane Balasko, blonde et les ongles vernis noirs, elle n’a que
deux ou trois scènes, elle est formidable. Isabelle hésite à lui
poser une question, elle tourne autour du pot pour lui demander si
elle n’a pas eu une aventure avec François son ex et le père de
sa fille. Présent aussi, Alex Descas, acteur fétiche de la
cinéaste, est un galeriste avec qui elle va, en compagnie de Bruno
Podalydés aux rencontres d’art contemporain de La Souterraine. La
scène est fort drôle, une critique légère mais précise du
milieu, la discussion a lieu au milieu d’une forêt, c'est à ce
moment qu’Isabelle craque et laisse en plan tous ces beaux
parleurs.
Les
hommes, ce douloureux problème. Le premier plan de Un beau soleil
intérieur cadre les seins de Juliette Binoche, nue sur un lit,
elle attend son amant qui se couche sur elle et commence à lui faire
l'amour. Lui, c'est Xavier Beauvois, un banquier un peu prétentieux,
un peu lâche, un peu amoureux. Il s’invite chez elle, dans son
appartement modeste mais rempli d'objets, le banquier vit dans un
immense et luxueux appartement, tout blanc avec juste un tableau dans
le salon et un immense canapé où elle sait pas où s’asseoir.
Comme dans la scène avec Josiane Balasko, Isabelle est toujours dans
l'hésitation puis le renoncement. Et dans l'improvisation de sa vie
amoureuse, sans doute la raison pour laquelle on entend du jazz (ce
qui change des Tindersticks).
Et
là litanie des amants se poursuit avec Nicolas Duvauchelle en
comédien de théâtre (à la Colline) alcoolique, lui aussi marié
comme Xavier Beauvois mais contrairement à ce dernier, il aime le
silence (bien qu'il ne cesse de parler, mais pour rien dire) et
n’arrive pas à coucher avec Isabelle. Ou ne le veut pas. Quatrième
homme, Laurent Grévill, l'ancien mari qui traîne parfois dans ses
draps, quel bonheur de revoir cet acteur un peu oublié comme j'avais
eu du plaisir à revoir Valérie Dréville dans Suite armoricaine.
Dernier amant, l'étrange Sylvain que joue Paul Blain (le fils de
Gérard Blain), une sorte de géant solitaire et silencieux sorti de
nulle part (rencontré à La Souterraine et sorti de sa grotte). Les
uns après les autres, elle les teste, les goutte, les jette ou les
garde.
C'est
cela que j’aime dans cet étrange film de Claire Denis, bien plus
surprenant et étonnant que Trouble every day ou Beau
travail, l’absence de dramaturgie n’est pas une nouveauté
mais elle me gène moins que d’habitude. C'était déjà largement
le cas dans White material, mais aujourd'hui la distribution
hétéroclite me rappelle celle de J'ai pas sommeil en 1994
(Line Renaud en mémé karatéka quand même) ou Nénette et Boni
(si Grégoire Colin est hélas absent, Valéria Bruni Tedeschi vient
faire un coucou larmoyant). Les deux scènes de Philippe Katerine,
déguisé en bon dandy au langage châtié, chez le poissonnier, sont
des moments exquis. C'est cette veine que j’aime chez Claire Denis,
un peu foutraque mais décontractée. Elle filme toujours autant les
visages en gros plan comme cet immense tableau que peint chez elle
Isabelle.
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