Petit
paysan fait a priori partie de cette génération de films
français récents dont la fiction est très largement documentée
(Hippocrate, Médecin de campagne, Grand central
etc), on prend une profession et on suit le parcours de son héros
modeste mais tellement vrai. Hubert Charuel pour son premier film
décide, et c'est une très bonne idée, de se démarquer et d'ouvrir
sa fiction par une séquence onirique. Pierre (Swann Arlaud) se
réveille, ses vaches noires et blanches sont dans sa chambre, dans
sa cuisine, dans toute sa maison, il a bien du mal à se glisser
entre elles.
Ce
rêve, presque un cauchemar, indique une chose, Pierre ne vit et
respire que pour ses vaches. D'ailleurs il les nomme chacune, leur
parle et dit que ce sont des filles. Elles ne sont pas des femelles
pour lui. Ce sont des membres de sa famille. Sa famille humaine,
parlons-en. Sa sœur Pascale (Sara Giraudeau), vétérinaire, lui
reproche un peu vertement ce terme de fille. Ses parents sont
toujours sur son dos, surtout sa mère qui fait office d'agence
matrimoniale et verrait bien son fils se marier avec la fille de la
boulangère.
Seulement
voilà, à 34 ans, Pierre n'a pas d'autre vie que celle de petit
paysan. Il a repris l'exploitation de la ferme familiale, une
trentaine de vaches laitières et y consacre tout son temps. Hubert
Charuel n'a pas besoin d'appuyer l'aspect documentée du film en
explications dialoguées. D'abord parce qu'on connaît la vie des
paysans si on a vu la trilogie Profil paysan de Raymond
Depardon, ensuite parce qu'il fonctionne par touche souvent sur le
mode comique pour décrire l'univers et la vie restreints de Pierre.
Ainsi,
le soir Pierre consulte Internet (car il est moderne) et
subrepticement on découvre un babyphone sur son bureau. Là, il
entend les râles d'une vache qui va vêler. Alors, oui, le cinéaste
filme Swann Arlaud en train de sortir le veau de sa mère, oui, tout
est bien sanguinolent. La scène n'est pas seulement troublante et
belle à la fois, elle lance le récit avec la naissance de ce veau
que Pierre considère comme son fils. Il est telle la paysanne
soviétique dans La Ligne générale d'Eisenstein et son veau
Fomka.
Le
film abandonne rapidement sa part bucolique pour un récit plus dur,
les vaches de Pierre sont malades. Une sournoise maladie bovine rôde.
Ce qui est important dans Petit paysan n'est pas tant
l'inéluctable destin (les vaches sont effectivement malades, Pascale
le confirme, il faudra par ce fameux principe de précaution les
abattre) mais la place de Pierre au milieu des autres personnages,
une place de plus en plus isolée et un comportement qui change par
rapport à tout ce que le film avait décrit jusque là.
Dans
sa nouvelle vie de « hors-la-loi », Pierre invite la
fille de boulangère à dîner, elle le traitera avec condescendance.
Il sort avec ses trois amis, d'abord à la chasse puis pour faire une
partie de bowling. Il accorde quelques moments au vieux paysan qui
perd la boule. Il leur cache la maladie bovine, il leur ment, il
devient irascible. C'est pathétique et touchant, puis troublant
quand il rencontre un dingo belge. Hubert Charuel trouve toujours le
ton juste, ne se laisse jamais emporter par l'écueil du lyrisme.
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