Le
mot révisionniste, à cette époque du Général de Gaulle
encore triomphant et où le Front National n'existait pas, n'avait
pas le même sens qu'aujourd'hui. Quand Guillaume (Jean-Pierre Léaud)
dans l'un des quatre « dialogues » qui charpentent La
Chinoise parle, dans sa parabole sur l'étudiant chinois qui
s'est bandé le visage, de révisionniste, il qualifie les membres du
Parti Communiste Français en particulier et de tous les communistes
fidèles à l'URSS en général, les Communistes acceptés par
Washington auxquels il oppose ceux qu'il considère comme les vrai
communistes et que les USA combattent au Vietnam, soit les maoïstes.
Là
encore le mot maoïste n'est jamais employé dans La Chinoise.
Les protagonistes reclus dans un grand appartement bourgeois
préfèrent se qualifier, au choix, de révolutionnaires, de
marxiste-léninistes, de combattants. Ils ne lisent plus que le petit
livre rouge de la « pensée de Mao », l'Humanité
Nouvelle et écoutent, sur un vieux poste transistor, Radio Pékin.
Outre Guillaume, voici Véronique (Anne Wiazemsky), Serge Kirilov
(Lex de Brujin) Henri (Michel Semenako) et Yvonne (Juliet Berto).
Pour la petite histoire, Godard avait rencontré ces deux derniers à
Grenoble lors d'une de ses visites.
Ces
cinq personnages sont tous grossièrement dessinés, des archétypes.
Yvonne, qui vient de Corenc en périphérie de Grenoble incarne la
candide qui pose des questions naïves ce qui énerve Véronique
l'idéologue du groupe. Guillaume est un acteur, il raconte des
anecdotes et des histoires (les balbutiements godardiens de la
réflexion entre Lumière et Méliès, la fiction et le
documentaire). Henri est le jeune militant communiste classique
opposé à Serge qui préconise la terreur et l'attentat que le
groupe veut commettre contre l'ambassadeur soviétique.
Il
croyait faire un grand film politique, 50 ans plus tard, on regarde
un grand film pop art, chargé de couleurs, dès le faux générique
UN FILM EN TRAIN DE SE FAIRE en couleurs bleu blanc rouge,
l'appartement est saturé d'écriture (celle de Godard bien
évidemment, reconnaissable entre mille), sur les tableaux qui
servent aux cours de marxisme-léninisme ou à Guillaume pour nommer
tous les écrivains avant de les effacer et de ne laisser que Brecht,
sur les murs où Véronique a écrit en lettre capitales REACTION +
REVISION + POLICE + YANKEES = DRAGONS DE PAPIER.
Montage
mon beau souci, collage plutôt pour accentuer le pop art. Collage
d'images (Shakespeare, Fidel Castro, Novalis – la seule image que
Guillaume vénère), de photos (les leaders du monde),
d'illustrations de comics américains (Captain America attaque le
Vietnam), lunettes de Guillaume aux drapeaux des ennemis de Mao,
reconstitution avec Yvonne de la guerre au Vietnam avec deux
maquettes d'avions et un chapeau de paysan (« Au secours,
Kossyguine, au secours »), mise en abyme (le clap est le seul
moment où apparaît le titre du film, Raoul Coutard est derrière la
caméra).
A
aucun moment, La Chinoise n'annonce Mai 68, il est au
contraire une célébration des 50 ans de la révolution russe de
1917 et marque la défaite de l'URSS à poursuivre la Révolution.
Comme le dit un carton qui revient régulièrement, chaque fois un
nouveau mot constitue la phrase « les impérialistes sont
encore vivants, ils continuent de faire gagner l'arbitraire en Asie,
en Afrique et en Amérique latine, en Occident ils oppriment encore
les masses populaires de leurs pays respectifs, cette situation doit
changer ».
Le
groupe passe son temps à discuter pour trouver comment changer cette
situation. Palabres de groupe filmées du balcon dans un travelling
transversal, long dialogue entre Véronique et Francis Jeanson, elle
dans le sens du train donc de l'Histoire, lui en face, tournant le
dos donc contre le sens de l'Histoire, monologue de Henri dans sa
cuisine, viré du groupe pour révisionnisme. Finalement, chacun
retournera à sa vie d'avant, les volets rouges de l'appartement vont
se fermer : « j'ai seulement fait les timides premiers pas
d'une très longue marche » conclue Véronique.
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