« Pas
d'histoire pas d’intrigue ». Le (faux) producteur de la
Paramount présente Le Dingue du palace. Il annonce quelque
chose de neuf, ni un mélo, ni un film d'horreur, ni de la
science-fiction. Un « film of fun and nonsense with no story
and no plot ». Tout ça le rend dingue ce producteur et avec un
rire de dément, il lance le film. Dès son premier film comme
réalisateur, une fois sa séparation d'avec Dean Martin, Jerry Lewis
refuse les histoires prétextes des films de son duo dont les titres
laissaient bien deviner les situations que le pitre allait
rencontrer.
Des
gags pour faire rire sans aucune histoire si ce n'est celle du
quotidien d'unn palace à Miami, le Fontainebleau. Des dizaines
d'employés, cuisiniers, femmes de chambre, artistes et tout au bas
de l’échelle les Bellboys, ces hommes à tout faire que
l’on appelle en faisant tinter une cloche. Pour son personnage de
groom, Jerry Lewis choisit le prénom de Stanley, comme Laurel dont
un sosie viendra hanter par sa présence muette l'hôtel. Pas
d'histoire, pas d’intrigue mais pas non plus de voix pour Stanley
qui ne dira pas un seul mot pendant tout le film, un comique de
burlesque muet égaré en 1960.
Pourtant
Jerry Lewis parle dans le film, mais uniquement quand il joue son
propre personnage dans une mise en abyme étourdissante. Kovacs, le
patron de l'hôtel, va accueillir Jerry Lewis. De sa voiture
descendent 26 personnes, toutes portant des lunettes de soleil. Puis
arrive souverain Jerry qui joue au type imbuvable entouré d'une cour
de lèche bottes. C'est le portrait d'une star irascible, imbu de
lui-même, prétentieux que Jerry Lewis fait de sa personne, un
portrait colporté à longueur de tabloïds américains, un portrait
dont il n'est pas dupe et qu'il assume.
C'est
pour cela, pour contrecarrer son statut de vedette comique qu'il
décide de jouer un moins que rien et c'est un comique marxiste qu'il
élabore, tendance Harpo que Jerry Lewis prend un délectable plaisir
à imiter dans plusieurs gags. Ne ce serait-ce que parce que Stanley
ne parle pas. Il siffle en revanche. Parce qu'il grimace de manière
inquiétante quand il doit répondre aux téléphones du standard
(son gag le plus Harpo) et parce qu'il a un sérieux problème avec
les femmes, finalement comme tous les grooms de l'hôtel qui se
jettent sur les mannequins d'un défilé de mode.
Dans
cette scène, des jeunes femmes viennent à l'hôtel, les employés
en rang d'oignons se précipitent sur elles quand elles se rendent
dans leurs loges. Puis Stanley arrive dans les loges tandis qu'elles
se déshabillent et il s'approche de la caméra et vient mettre sa
main sur l'objectif pour les masquer. Plus tard, une strip-teaseuse
se verra surmontée d'un carton « censored » qui apparaît
à l'image. Jerry Lewis dit tout simplement que dans une comédie on
ne peut pas montrer la sensualité des corps des femmes, ainsi dans
son deuxième film, Le Tombeur de ces dames, il n'y aura que
des femmes.
Entre
les femmes et l'humour à la Marx Brothers, entre le régime de cette
grosse dame du 23 au 33 février (!!!) et l'ascenseur archi-bondé
telle la cabine du bateau d'Une nuit à l'opéra, Le Dingue
du palace poursuit ses gags et numéros burlesque pendant les 68
minutes à raison d'un gag toutes les 91 secondes (à peu près). On
trouve dans le film, un moteur de Coccinelle, une promenade de
chiens, une deuxième promenade de chiens, une salle de cinéma à
installer, une statue de glaise, un restaurant sans chaise disponible
et encore plein plein plein de choses.
Faire
tant de gags sans se soucier du scénario et de l'intrigue a une
conséquence directe, celle que quelles que soient les catastrophes
que Stanley puisse produire (l'exemple le plus typique est la
destruction plastique de la statue, de la beauté banale à la
laideur inquiétante, la marque de fabrique de Jerry Lewis), aucune
de ces catastrophes n'a de conséquence sur le gag suivant, comme un
gag des Looney Tunes. L'unique intrigue du film est l'absence de
réplique de Stanley jusqu'à la scène ultime où il explique qu'il
sait parler mais que personne ne lui avait demandé jusque là de
parler.
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