Ainsi
donc, cet été les deux films les plus étranges sortis dans les
salles de cinéma auront été deux comédies musicales. A ma gauche,
filmé dans un décor de néons et d'escalier avec pléthore
d'acteurs de Hong Kong, Office de Johnnie To. A ma droite mis
en scène sur les dunes légèrement herbées du Nord avec une enfant
en robe bleue, Jeannette de Bruno Dumont. On remarquera dans
chacun de ces deux films l'artificialité absolue du décor unique,
les néons figurent tout Hong Kong et les dunes symboles de Domremy,
de la Meuse et de la Bourgogne.
Voici
Jeannette en 1425, elle a 13 ans, elle garde son petit troupeau de
moutons. elle marche pieds nus dans le ruisseau, elle grimpe sur la
dune en chantant une adresse à Dieu. « Et rien, non, jamais
rien » chante-t-elle les yeux vers les cieux. Elle entonne ses
paroles a cappella avant que la musique ne commence à retentir,
telle des trompettes divines. Par deux fois, la caméra montée sur
une grue incarnera ce Dieu qui regarde Jeannette sans lui répondre.
Voici qu'arrive une autre petite fille, Hauviette, une amie de
Jeannette.
Toutes
deux se mettent à chanter de concert, à danser, à virevolter, à
taper du pied. Bruno Dumont s'est adjoint les services de Igorr. Je
n'avais jamais entendu parler de lui (j'ai même cru à un moment
qu'il s'agissait d'Esteban, le musicien et acteur loufoque d'Antonin
Peretjatko). Igorr a composé ces chansons tout en bondieuseries pour
illustrer la vocation mystique de Jeanne d'Arc. Mine de rien,
certaines sont plutôt bien troussées, comme quoi quand le cinéaste
s'extrait de sa propre prose, ses films sont meilleurs.
Comme
d’habitude (à l'exception de Flandres et de Camille
Claudel 1915), ses interprètes tentent de se dépatouiller, mais
un certain malaise m'a pris quand l'oncle Jean de Jeanne vient faire
un petit rap pour qu'elle puisse enfin quitter son village et filer à
Orléans pour aider le Dauphin. Ses contorsions et ses gestes
maladroits sont aussi pénibles à regarder que le comique très
Freaks de P'tit Quinquin et Ma Loute. Dans
Jeannette, et c'est tant mieux, Bruno Dumont abandonne le
comique, chose qui demande une rigueur et une précision que le
cinéaste ne possède pas.
Certes
les deux enfants ne chantent pas bien (je constate que celle qui joue
Hauviette a un plus beau brin de voix), mais Jeanne à 16 ans, c'est
encore pire. Passons. Un morceau est fascinant, chanté par Aline et
Elise Charles qui incarnent toutes deux Madame Gervaise une
religieuse venue discuter avec Jeannette. Un seul personnage jouée
par deux actrices (des jumelles ?) qui doublent leurs
chorégraphies, c'est une jolie scène. Quand elles enlèvent leur
voile et danse comme dans un concert de métal, c'est étonnant.
Les
deux sœurs reviendront plus tard sous la forme de Sainte Marguerite
et Sainte Catherine accompagnées de Saint Michel, interprétée par
une femme, Anaïs Rivière. Toutes trois lévitent dans les bois. Je
ne sais pas si Bruno Dumont a voulu faire une belle image pieuse tiré
d'un missel de notre enfance mais l'effet est tout inverse, ces deux
séquences affirment la folie de la religion, son caractère
démentiel. Si le film avait été plus souvent ainsi au lieu de
tourner en rond et d'être alambiqué, je le recommanderais presque.
Quand
on songe à ce qu'avait fait Luis Buñuel en seulement 48 minutes sur
un sujet similaire dans le génial Simon du désert, Jeannette apparaît terriblement anodin. Je reste
tout de même pantois devant le déluge d'éloges des thuriféraires
du cinéaste après le passage sur Arte. Mais c'est somme toute assez
amusant voire cocasse de constater la hargne des admirateurs face aux
détracteurs (lire les commentaires sous le texte de François Cau
sur le site Chaosreigns). Il y a de la bigoterie chez les fans de
Bruno Dumont et c'est bien lui en haut de la grue en train de filmer
les dunes, pas Dieu.
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