lundi 4 septembre 2017

Spider (David Cronenberg, 2002)

Spider est un jeu d'esprit. Il est dans la continuité d'eXistenZ, c'est le même film sauf que c'est l'inverse. Adieu les forêts denses et les usines de batraciens mutants, David Cronenberg quitte son Canada natal pour s'installer en Grande-Bretagne. Où précisément ? Le film ne le dira jamais mais on est dans un réalisme cru, comme il ne l'avait plus filmé depuis des années. Des maisons de briques, un pub avec ses piliers de bar et cette vieille pension aux murs décrépis où débarque Dennis Cleg (Ralph Fiennes).

On reconnaît cette Angleterre, pourtant David Cronenberg prend un soin maniaque à en effacer l'époque, à ne surtout pas la dater. A en croire les tenues des personnages que Dennis croise dans cette pension, le film pourrait se dérouler dans les années 70 ou 80. La scène d'ouverture, en plan séquence et en travelling avant, montre un train qui arrive en gare. Pas de quoi effrayer le spectateur de 2002 contrairement au film de Lumière. Tous les passagers descendent de train, ils sont contemporains sauf Dennis qui sort en dernier.

La valise à la main, avec un vieux pardessus, Dennis avance lentement, très lentement, l’œil hagard, le geste hésitant. Il sort lentement, très lentement, un papier. L'adresse de la pension figure sur ce papier. Il se perd un peu en route, passe devant une usine de gaz dont la forme n'est pas sans évoquer une toile d'araignée et commence à ramasser, lentement, très lentement, quelques objets qui jonchent sur le sol, objets qu'il place dans la poche de son pardessus. Puis lentement, très lentement, il s'engage enfin à sonner à la porte.

Si j'insiste tant sur la lenteur du personnage de Ralph Fiennes, c'est pour souligner l'effet de fausse piste que David Cronenberg tend au spectateur. Il donne des signes que tout ne tourne pas rond dans le cerveau de Dennis. On remarque qu'il écrit sur un carnet dans un alphabet inconnu, il cache ce carnet pour que Madame Wilkinson (Lynn Redgrave), la directrice de la pension, ne puisse pas le trouver, il ramasse des objets qu'il amasse dans sa valise et il porte sur lui ses six chemises, toutes grisâtres, toutes élimées.

A priori, Dennis ne serait qu'un fou de plus que le directeur de l'asile cherche à remettre dans un élément naturel, comme un animal que l'on rendrait à la vie sauvage, ici donc la vie urbaine. Dennis a toujours été surnommée par sa douce maman (Miranda Richardson) spider, l'araignée. Car en écrivant sur son cahier, Dennis adulte se rappelle Dennis enfant, un gamin timide et bien sage, mais un peu spécial. Dans sa chambre d'enfant, il a installé des fils sur les murs et au plafond, Dennis tisse ses toiles d'araignée.

On pensait ainsi ne voir qu'un film sur un fou mais c'est mieux que cela. Spider ne se plonge pas dans les souvenirs de Dennis, le film n'est pas un suite de flash-back qu'il se rappelle, il est totalement linéaire, mais c'est une linéarité contrarié. Quand Dennis enfant (Bradley Hall) apparaît à l'image, qu'il est avec ses parents, Dennis adulte est toujours dans le cadre à observer ce qui se passe, il ne se souvient pas, il crée son passé, il l'écrit dans son langage abscons et c'est cette double jeu de réalité que David Cronenberg filme.

C'est uniquement par cette lenteur que le spectateur est pris dans la toile d'araignée narrative, qu'il est absorbé par cette histoire 25 ans auparavant construite en chausse-trape, piège et épreuve narratifs. Dennis adulte construit un puzzle, c'est cela son jeu de l'esprit, il n'a plus besoin d'une machine hybride comme dans eXistenZ ou Le Festin nu, son propre corps est cette machine hybride qui joue au puzzle. Puzzle en carton dans la pension, puzzle de verre à l'asile, puzzle familial dans son enfance.

Reconstruire sa famille est l'activité de Dennis pendant Spider. Il découvre sa mère, puis son père Bill Cleg (David Byrne) sans qu'on puisse distinguer s'il est un salaud ou un bon père, puis Yvonne, la blonde vulgaire du pub que joue également Miranda Richardson, mais avec un jeu totalement différent, la bouche ouverte, du rouges à lèvres, une veste panthère, tout l'inverse de sa mère. Dennis voit tout en même temps, ici et là, le présent et le passé, sa mère et Yvonne, mais il ne voit rien, il est dans un jeu de l'esprit mais son esprit est en pièces, comme un puzzle.





















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