Un
écran blanc à remplir, la neige envahit tout le cadre au tout début
de Shanghai Express et Sammo Hung arrive sur son cheval. Le voilà
seul au monde dans une nature hostile. Il repère de loin des soldats
morts. Au lieu de se recueillir, il va les dévaliser, piquer à l'un
sa médaille, à un autre sa bague en or à un troisième son
revolver. Avant que tous se lèvent, c'était un exercice militaire.
Les soldats décident de donner une bonne leçon à l'impudent Ching
Fong-tin.
Il
est obligé de danser en caleçon devant toute l'escouade. Il porte
sur ses tétons une serpillière attachée et sur la tête un balai
Faubert. Le voilà déguisé en danseuse du ventre (Sammo Hung n'a
jamais eu peur de se ridiculiser, mais c'est pour mieux piéger ses
adversaires). Les soldats sont excités et ne font pas attention
qu'il cherche à s'échapper. Il se saisit de deux grenades de le
ceinture d'un bidasse, les jette et saute par la fenêtre. Il se
retrouve à moitié à poil au milieu de la neige et du grand froid.
L'aventure
continue avec l'arrivée d'un chasseur de primes, Lai Fu (Kenny Bee).
Pas vraiment coopératif, le chasseur de primes. Mais là encore,
notre bon gros réussit à s'échapper. Ils glissent tous les deux
dans la neige. Une énorme boule de neige se forme avec des effets à
couper le souffle. Je plaisante, les effets spéciaux sont un peu
pourris mais il n'y en aura pas d'autres pendant le film. Une
explosion et une grosse boule de neige au début et ensuite Sammo
Hung va installer son film ailleurs.
Cet
ailleurs est un village de pauvres gens. On découvre les habitants
petit à petit autour de deux acteurs épatants du cinéma de Hong
Kong. D'un côté le chef des pompiers Tsao (Yuen Biao), gentil gars
qui va endosser le rôle du héros positif. Contrairement à Eric
Tsang qui passe de chef de la sécurité à voleur de banque, avec
une bande pas piquée des hannetons, des bras cassés toujours prêts
à s'engueuler, à faire foirer leur plan qu'ils pensaient avoir
minutieusement préparé.
L'idée
majeure du film est simple et ludique. Sammo Hung commence son récit
par le vide, la neige blanche comme une feuille qu'il va s'évertuer
de remplir jusqu'à rabord de nombreux personnages. Car si Yuen Biao
et Eric Tsang s'affrontent dans le village, ils ne sont pas seuls.
Chacun a une bande non pas de personnages mais de silhouettes proches
du cartoon. Des esquisses griffonnés sur la pellicule avec une
volonté de faire rire, de produire un burlesque comique efficace.
Le
village va vite se peupler pour une raison simple : un train
doit passer par là. Chacun à ses raisons pour s'occuper du train.
Eric Tsang veut l'attaquer parce qu'il transporte des gens riches (le
titre original est The Millionaires' express), faire un casse et avec
ses acolytes (une fois ceux-ci sortis de la prison), il élaborent
des plans. C'est à haute teneur comique. La pratique ne correspond
pas franchement à la théorie de leur plan, mais il le maintienne
avec quelques gamelles attendues.
Augmenter
le nombre de personnages passe par les passagers du train. Parti pris
comique : le volage Richard Ng qui trompe son épouse rondelette
avec une bimbo. Pour la rejoindre, il passe par les toits de wagons.
Là il croise un malfrat venu inspecter pour son patron, un sorte de
mafieux comme le cinéma de Hong Kong les aime. On retrouvera ces
deux gars sur le toit de l'hôtel du village pour les mêmes raisons
dans un chassé-croisé hilarant, sachant que l'un a peur de tomber
et l'autre fonce comme un dératé.
Et
dans le train se trouvent aussi trois Japonais avec un parchemin
antique, véritable carte au trésor qui doit indiquer où se trouve
l'or de la dynastie Qin. Ce qu'on remarque dans tout cette
distribution foisonnante est le mélange entre la nouvelle génération
de l'époque (Sammo Hung, Yuen Biao, Meng Choi, Lam Ching-yin) et
celle de la Shaw Brothers moribonde (Wu Fung, Sheh Kin, Kurata
Yasuaki, Walter Tso, Fan Mei-sheng). Chaque fois, Sammo Hung parvient
à faire exister à la fois le groupe et les individualités.
Cet
hôtel dont je viens de parler est l'épicentre du récit. Le
personnage de Sammo Hung l'achète, la restaure et l'occupe avec cinq
femmes. En guise d'hôtel, c'est une maison de passe qu'il conçoit
au grand dam de Yuen Biao qui ne voit pas tout ça d'un bon œil. La
partition des actrices repose sur un double jeu, elles feignent
d'être prudes devant Yuen Biao mais sont délurée une fois celui-ci
parti de la pièce. Et ça fait encore plus de monde dans le film,
dans le récit. Tout est prêt pour que l'action commence.
Le
mélange des genres est la recette magique de ce chef d’œuvre
conçu par Sammo Hung. Tout fonctionne à merveille, on passe d'un
groupe à un autre avec harmonie. Un groupe dédié au strict comique
de situations, au comique visuel (les fameuses grimaces d'Eric
Tsang), aux références à la culture populaire (exemple principal
totalement anachronique, un Wong Fei-hung enfant qui se comporte déjà
comme le maître d'arts martiaux, mais aussi le western) et du
vaudeville entre tous ces personnages.
L'action
évidemment mise en scène avec un brio incomparable qui fait de
Shanghai Express le meilleur film de Sammo Hung. Parce qu'il
est un brillant chorégraphe qui propose toujours des combats assez
vigoureux, voire violents, ils sont impressionnants de maîtrise et
de moments d'anthologie. Il ne faut pas rater celui entre Yuen Biao
et lui au bord du chemin de fer. Leur vivacité est d'autant plus
grandiose et impressionnante que leurs caractères physiques
s'opposent. Sammo Hung se bat, dans le final, avec Cynthia Rothrock
et là encore, ils ne sont pas tendres entre eux.
Ils
tombent sur des meubles, écrasent des bancs, se prennent des coups
de pied. Ça doit faire mal. Côté cascades, les acteurs ne sont pas
en reste : on tombe du troisième étage, du toit d'un immeuble
(c'est Yuen Biao qui fait cette cascade de casse-cou), le tout filmé
en plan fixe la plupart du temps. Tout le monde virevolte pour notre
plus grand plaisir. Sammo Hung réussit, avec une grande limpidité,
à tout sublimer son projet. Casting de rêve, action débridée,
scénario échevelé, tout concorde à faire de Shanghai Express
un chef d'œuvre.
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