mercredi 25 mars 2020

Shanghai Express (Sammo Hung, 1986)

Un écran blanc à remplir, la neige envahit tout le cadre au tout début de Shanghai Express et Sammo Hung arrive sur son cheval. Le voilà seul au monde dans une nature hostile. Il repère de loin des soldats morts. Au lieu de se recueillir, il va les dévaliser, piquer à l'un sa médaille, à un autre sa bague en or à un troisième son revolver. Avant que tous se lèvent, c'était un exercice militaire. Les soldats décident de donner une bonne leçon à l'impudent Ching Fong-tin.

Il est obligé de danser en caleçon devant toute l'escouade. Il porte sur ses tétons une serpillière attachée et sur la tête un balai Faubert. Le voilà déguisé en danseuse du ventre (Sammo Hung n'a jamais eu peur de se ridiculiser, mais c'est pour mieux piéger ses adversaires). Les soldats sont excités et ne font pas attention qu'il cherche à s'échapper. Il se saisit de deux grenades de le ceinture d'un bidasse, les jette et saute par la fenêtre. Il se retrouve à moitié à poil au milieu de la neige et du grand froid.

L'aventure continue avec l'arrivée d'un chasseur de primes, Lai Fu (Kenny Bee). Pas vraiment coopératif, le chasseur de primes. Mais là encore, notre bon gros réussit à s'échapper. Ils glissent tous les deux dans la neige. Une énorme boule de neige se forme avec des effets à couper le souffle. Je plaisante, les effets spéciaux sont un peu pourris mais il n'y en aura pas d'autres pendant le film. Une explosion et une grosse boule de neige au début et ensuite Sammo Hung va installer son film ailleurs.

Cet ailleurs est un village de pauvres gens. On découvre les habitants petit à petit autour de deux acteurs épatants du cinéma de Hong Kong. D'un côté le chef des pompiers Tsao (Yuen Biao), gentil gars qui va endosser le rôle du héros positif. Contrairement à Eric Tsang qui passe de chef de la sécurité à voleur de banque, avec une bande pas piquée des hannetons, des bras cassés toujours prêts à s'engueuler, à faire foirer leur plan qu'ils pensaient avoir minutieusement préparé.

L'idée majeure du film est simple et ludique. Sammo Hung commence son récit par le vide, la neige blanche comme une feuille qu'il va s'évertuer de remplir jusqu'à rabord de nombreux personnages. Car si Yuen Biao et Eric Tsang s'affrontent dans le village, ils ne sont pas seuls. Chacun a une bande non pas de personnages mais de silhouettes proches du cartoon. Des esquisses griffonnés sur la pellicule avec une volonté de faire rire, de produire un burlesque comique efficace.

Le village va vite se peupler pour une raison simple : un train doit passer par là. Chacun à ses raisons pour s'occuper du train. Eric Tsang veut l'attaquer parce qu'il transporte des gens riches (le titre original est The Millionaires' express), faire un casse et avec ses acolytes (une fois ceux-ci sortis de la prison), il élaborent des plans. C'est à haute teneur comique. La pratique ne correspond pas franchement à la théorie de leur plan, mais il le maintienne avec quelques gamelles attendues.

Augmenter le nombre de personnages passe par les passagers du train. Parti pris comique : le volage Richard Ng qui trompe son épouse rondelette avec une bimbo. Pour la rejoindre, il passe par les toits de wagons. Là il croise un malfrat venu inspecter pour son patron, un sorte de mafieux comme le cinéma de Hong Kong les aime. On retrouvera ces deux gars sur le toit de l'hôtel du village pour les mêmes raisons dans un chassé-croisé hilarant, sachant que l'un a peur de tomber et l'autre fonce comme un dératé.

Et dans le train se trouvent aussi trois Japonais avec un parchemin antique, véritable carte au trésor qui doit indiquer où se trouve l'or de la dynastie Qin. Ce qu'on remarque dans tout cette distribution foisonnante est le mélange entre la nouvelle génération de l'époque (Sammo Hung, Yuen Biao, Meng Choi, Lam Ching-yin) et celle de la Shaw Brothers moribonde (Wu Fung, Sheh Kin, Kurata Yasuaki, Walter Tso, Fan Mei-sheng). Chaque fois, Sammo Hung parvient à faire exister à la fois le groupe et les individualités.

Cet hôtel dont je viens de parler est l'épicentre du récit. Le personnage de Sammo Hung l'achète, la restaure et l'occupe avec cinq femmes. En guise d'hôtel, c'est une maison de passe qu'il conçoit au grand dam de Yuen Biao qui ne voit pas tout ça d'un bon œil. La partition des actrices repose sur un double jeu, elles feignent d'être prudes devant Yuen Biao mais sont délurée une fois celui-ci parti de la pièce. Et ça fait encore plus de monde dans le film, dans le récit. Tout est prêt pour que l'action commence.

Le mélange des genres est la recette magique de ce chef d’œuvre conçu par Sammo Hung. Tout fonctionne à merveille, on passe d'un groupe à un autre avec harmonie. Un groupe dédié au strict comique de situations, au comique visuel (les fameuses grimaces d'Eric Tsang), aux références à la culture populaire (exemple principal totalement anachronique, un Wong Fei-hung enfant qui se comporte déjà comme le maître d'arts martiaux, mais aussi le western) et du vaudeville entre tous ces personnages.

L'action évidemment mise en scène avec un brio incomparable qui fait de Shanghai Express le meilleur film de Sammo Hung. Parce qu'il est un brillant chorégraphe qui propose toujours des combats assez vigoureux, voire violents, ils sont impressionnants de maîtrise et de moments d'anthologie. Il ne faut pas rater celui entre Yuen Biao et lui au bord du chemin de fer. Leur vivacité est d'autant plus grandiose et impressionnante que leurs caractères physiques s'opposent. Sammo Hung se bat, dans le final, avec Cynthia Rothrock et là encore, ils ne sont pas tendres entre eux.


Ils tombent sur des meubles, écrasent des bancs, se prennent des coups de pied. Ça doit faire mal. Côté cascades, les acteurs ne sont pas en reste : on tombe du troisième étage, du toit d'un immeuble (c'est Yuen Biao qui fait cette cascade de casse-cou), le tout filmé en plan fixe la plupart du temps. Tout le monde virevolte pour notre plus grand plaisir. Sammo Hung réussit, avec une grande limpidité, à tout sublimer son projet. Casting de rêve, action débridée, scénario échevelé, tout concorde à faire de Shanghai Express un chef d'œuvre.






































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