« C'était
quoi ça ? » demande le patron du cabaret, « Si
bémol » répond admiratif Toddy (Robert Preston). Belle idée
de Blake Edwards de définir Victoria (Julie Andrews) par sa voix
étincelante, si pure qu'elle brise les verres de Champagne. La
pauvre Victoria n'a pas un sou en poche, elle enchaîne les auditions
dans ce Paris de l'hiver 1934. Sa voix n'est plus à la mode, comme
on le comprendra plus tard avec une autre chanteur blonde platine,
exemple ô combien vulgaire de la vamp américaine sans filet de voix
mais qui aguiche le spectateur mâle.
Toddy
est un vieux routard du divertissement, il sait reconnaître le
talent où il se trouve, dans la voix de Victoria. Elle est partie
précipitamment du cabaret non sans avoir fait chuter un acrobate qui
s'était perché sur une canne enfoncée dans une coupe de Champagne
(pouf, le verre explose). Toddy suit donc la dame désargentée et la
retrouve dans un restaurant où elle sera servie par un employé
récalcitrant (Graham Stark, l'impassible adjoint de Clouseau dans La
Panthère rose). Elle commande beaucoup, se goinfre et Toddy
finit par se joindre à elle.
Cette
scène de restaurant est l'une des plus drôles. Victoria et Toddy
jouent les grands de ce monde, font semblant de s'y connaître en
plats français. C'est surtout l'air navré du serveur qui fait
beaucoup pour la scène (on le retrouvera plus tard dans le film,
futur employé du cabaret de Toddy) et cette histoire de cafard dans
la salade. L'insecte a l'outrecuidance de s'enfuir de la salade pour
se retrouver sur la jambe d'une grosse bonne femme. J'adore la
tronche de cette femme quand Victoria commence à taper le scandale
avant que le chaos (filmé de la rue) ne s'empare du restaurant.
Cette
séquence est le fondement d'une grande amitié entre Toddy et
Victoria. Il connaît sa voix, il sait qu'elle sait chanter mais il
faut la modeler, la transformer, la rendre plus sexy, plus à la
mode. Alors, il commence par lui demander de changer de voix pour
devenir Victor. Cette voix qui fait des si bémol doit devenir celle
d'un garçon, très androgyne, il deviendra Victor Comte Grazinsky,
un jeune homme que personne ne connaît sur la place de Paris, pas
plus que personne de connaît l'artiste lyrique qu'est Victoria. Le
spectacle peut commencer.
Je
parlais plus haut de cette blonde platine vulgaire. Elle s'appelle
Norma Cassady (Lesley Ann Warren), fleuron de superficialité qui
arrive fièrement dans le cabaret de André Cassell (John
Rhys-Davies) au bras de son fiancé King Marchand (James Garner), lui
même suivi par Squash (Alex Karras) son garde du corps. Ils viennent
à la première du spectacle de Victor. Et King apprécie le numéro
du comte Grazinsky qui interprète « Jazz Hot », superbe
numéro rutilant dans la ligne droite des comédies musicales des
années 1950, l'âge d'or selon moi.
King
savoure le visage de cette femme habillée dans une robe noire
étincelante de diamants. Norma observe le visage de son fiancé et
constate qu'il est bouche bée, comme un loup de Tex Avery devant une
vamp. Evidemment, ça commence à déplaire à cette pauvre Norma qui
se voit déjà mise au placard pour être remplacer par Victoria. Le
show fini, King applaudit à tout rompre. Le comte lève alors sa
main, retire sa perruque et tout le monde que c'est un homme. Norma
triomphe de voir King en pleine déconfiture. C'est elle désormais
qui applaudit à tout rompre.
Dans
de nombreuses situations créées par Blake Edwards, c'est l'alcool
qui change le comportement des personnages. Dans Victor Victoria,
c'est le passage d'un genre à un autre, illustré par le changement
de voix puis la transformation physique de Victoria en Victor. Aucun
personnage ne sera donc épargné. Norma a beau fanfaronner devant
King, ce dernier n'en revient toujours pas que ce Comte soit un
homme. Il lui faudra aller vérifier par lui-même, mais pour cela il
devra d'abord se débarrasser de Norma (elle finira elle aussi en
chanteuse de cabaret).
La
grande scène de chambre peut alors démarrer avec ses quiproquos ad
libidum et ses portes qui se referment sur ceux qui s'étaient
cachés. Blake Edwards est le champion de ces scènes très
chorégraphiées et minutieuses qui se déroulent dans Victor
Victoria dans un hôtel luxueux et sous la neige. Elle implique
Victoria, Toddy, Squash et King, ces deux derniers vont passer de
longues minutes sur le balcon en train de se geler sous la neige
pour surveiller de plus près Victor et Victoria qui ne se doute pas
qu'ils sont là à tenter de découvrir la vérité.
Ces
transformations passent aussi par une révélation cocasse, celle de
Squash, le garde du corps à moustache jusque là toujours derrière
son patron révèle qu'il aime les hommes (il devient l'amant de
Toddy). L'ultime transformation est celle de King Marchand qui
accepte de passer pour l'amant de Victor afin de laisser se prolonger
le spectacle. Elle sera suivie par le sacrifice du show sur un air
espagnol par Toddy qui joue les travestis pour que Victoria retrouve
sa voix initiale maintenant qu'elle a trouvé l'amour.
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