Ce
soir-là, tout le quartier se précipite vers le terrain vague où
les éboueurs viennent de découvrir le corps d'une jeune femme, elle
a été étranglée dira le médecin légiste. Tout le monde sauf
Monsieur Hire (Michel Simon) qui continue sa routine. Il sort du bus
qui l'a amené de Paris à Villejuif où l'action de Panique
se déroule, il prend en photo en clochard qui se dispute des
détritus avec un chien, il va acheter des victuailles, des pommes,
un steak et rentre enfin chez lui.
Monsieur
Hire observe de loin cette assemblée qui se scandalise de cet
assassinat. A juste titre. Il le fait cependant avec un petit sourire
narquois, de celui qui sait ce qui s'est passé. Cela veut dire tout
simplement que soit il est l'assassin, soit il a vu l'assassin.
Seulement voilà, son manque d'empathie, le fait qu'il n'aille pas
comme les autres sur les lieux montre à tous ceux qui se sont
déplacés qu'il a probablement quelque chose à se reprocher.
S'il
est bien quelqu'un qui a foncé dans le terrain vague, c'est Alfred
(Paul Bernard). C'est à se demander même s'il ne dirige pas
immédiatement l'enquête sur cette mort atroce. On le sent, nous
spectateurs, qu'il en fait trop, que cet excès est vaguement
suspect. C'est une manière simple de se mettre du côté de Monsieur
Hire. Car même si Hire est bien moins sympathique de prime abord que
cet bon Alfred, on se range vite de son côté.
On
apprendra rapidement qu'Alfred est bien l'homme qui a étranglé la
demoiselle du terrain vague. Il a l'air de même s'en vanter à sa
petite amie Alice (Viviane Romance). Il lui raconte les détails du
meurtre, tout ce qui s'est passé ce soir-là. Et il le fait assez
vite dans le film, au bout d'à peine une demi-heure, c'est dire que
Julien Duvivier ne cherche pas à jouer sur l'enquête, sur l'aspect
« film policier » dans Panique.
Le
cinéaste va vers autre chose, vers la personnalité tout d'abord de
Monsieur Hire. Il est forcément interrogé par la police, comme tout
le monde (comme par exemple les forains qui viennent de s'installer
dans le quartier) et annonce son nom complet Désiré Hirovitch, qui
pour la flicaille est à consonance étrange (comprendre juif), ce
qui en fait le suspect idéal. D'autant qu'il demeure secret à
pratiquement tous ses voisins.
Il
part vers le complot, vers la condamnation du bouc-émissaire idéal
que crée de toutes pièces Alfred avec la complicité d'Alice.
Alfred est la parasite incarné. Le genre d'homme qui ne sait rien
faire mais qui veut l'apprendre à tout le monde. Superbe scène où
l'inspecteur Michelet (Charles Dorat) le réveille à midi comprenant
qu'il lui raconte des bobards. Michelet le soupçonne assez vite mais
se rend vite compte qu'il n'a aucune preuve.
La
preuve, Hire affirme l'avoir (c'est assez facile de deviner comment
il a la preuve qu'Alfred a tué la jeune femme) mais bizarrement il
préfère ne rien dire et laisser le meurtrier libre. Bizarrement,
finalement pas tant que ça. On comprend vite que Monsieur Hire est
amoureux d'Alice. Et on comprend qu'en tant que suspect idéal, au
moins aux yeux des commerçants et des voisins, il a du mal à
accuser un gars aussi apprécié qu'Alfred.
Le
film va alors prendre de bataille entre Alfred et Hire, c'est une
guerre totale que se livrent les deux hommes. Mais une guerre inégale
puisque Alfred a toutes les troupes derrière lui (le boucher qui se
plaint que Hire ne trouve pas la viande assez saignante, le voisine
qui accuse Hire d'être trop gentil avec sa fille) et il va lancer
une chasse à l'homme qui n'est pas sans rappeler celle du monstre de
Frankenstein (la cavale sur les toits).
Hire
a réussi, dans son aveuglement, qu'il a pour alliée Alice. Il
espère en faire sa femme. Il l'amène dans son jardin secret (une
maison abandonnée sur la Marne), à son travail (il est astrologue à
Paris). Mais Alice ment, elle déteste Hire, elle en a peur (il
l'observe de sa fenêtre la nuit), elle se moque de lui devant Alfred
quand Hire n'est plus là. Elle est également aveugle dans son amour
pour Alfred malgré son crime.
Dans
ce terrifiant filme noir qui marque son retour en France après
quelques années à Hollywood, Julien Duvivier imprime l'atmosphère
délétère de l'après-guerre. Tout le monde soupçonnait tout le
monde. Le film décrit avec une précision (bien supérieure au
Corbeau de Clouzot) la transmission de la rumeur publique, du
poison de la rumeur (l'incroyable scène des autos-tamponneuses) et
de son résultat sur les victimes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire