Je
découvre 15 ans après Le
Promeneur du Champ de Mars, je m'étais jusqu'alors
contenté des films marseillais de Robert Guédiguian. Il est très
agréable ce film et Michel Bouquet est entièrement dans son rôle
de « Monsieur le Président ». Car François Mitterrand
n'est jamais nommé, parfois un personnage (une ancienne résistante
qu'il a connue en 1943) parle de lui en disant « François ».
Jamais Mitterrand n'est prononcé, c'est dommage parce que je me
rappelle que les gens de droite qui le détestaient l'appelaient
Mitran, c'est d'ailleurs à ça qu'on reconnaissait ses adversaires
viscéraux.
Nommer
les gens, les appeler, c'est souvent l'écueil du cinéma français
(pas une réplique sans prénom, au cas où les gens ne
comprendraient pas). Dans Le Promeneur du Champ de Mars,
l'absence de name drapping, d'énumération des noms connus a un but
ultime : montrer la solitude de l'homme à la fin de ses deux
mandats. Robert Guédiguian ne s'intéresse d'ailleurs pas à la
politique de cette fin d'année 1994, début de 1995, quand Edouard
Balladur était premier ministre et candidat face à Jacques Chirac,
jamais évoqués dans le film.
Tout
juste entend-on que le candidat du PS sera Lionel Jospin. Cela vient
dans une scène où le président doit relire un texte censé
soutenir Jospin, lui qui voulait faire l'inventaire du
mitterrandisme. Pourtant, son personnage aura une pointe de jalousie
quand Jospin aura fait au premier tour un score supérieur à celui
d'avril 1981. Avec la suite que l'on sait, Chirac sera élu – mais
de cela aussi, il ne sera pas question dans le film. Des questions,
il y en a beaucoup qui sont posée à Monsieur le Président.
Ces
questions, elles sont posées par un jeune journaliste, Antoine
(Jalil Lespert). Il faut le reconnaître, si le jeu de Michel Bouquet
est savoureux, celui de Jalil Lespert est fastidieux. Sa voix blanche
permanente (en voix off, en narrateur commentateur) est sans doute là
pour permettre précisément à Monsieur le Président de délivrer
ses petites phrases, et dans les premières scènes, on en entend un
bon nombre de ces aphorismes, petites phrases, réflexions que
Mitterrand a eu, qu'elles soient apocryphes ou non. C'est le
contraste qui règne d'abord.
Un
vieil homme qui manie le verbe à la perfection, trouver dans chaque
mot un sens précis et un jeune homme qui apprend à écrire. La
scène pivot est celle qui livre offert par Antoine à François. Le
premier veut faire plaisir au second, mieux, il espère le conquérir,
l'amadouer. Au contraire, il se fait humilier deux fois (le coup de
la citation sortie du contexte) par Mitterrand devant ses amis puis,
chez ses parents avec sa fiancée, quand il raconte que ce cadeau lui
a fait plaisir, vite démenti par la fiancée qui déteste
Mitterrand.
La
France de l'époque, je me le rappelle bien, détestait François
Mitterrand après l'avoir tant vénéré. Tout ça à cause d'une
photo prise pendant la guerre, une photo où il est avec Pétain.
Antoine est là pour savoir si Mitterrand a été pétainiste ou
résistant. C'est ce combat que le film raconte, ce passé qui ronge
tout autant le président atteint d'un cancer comme Antoine dont la
vie explose devant ses yeux. Le combat a donc lieu avec des mots,
c'est l'arme favorite de Mitterrand. Il blesse souvent le petit
journaliste (comme à son retour de Vichy pour enquêter).
Pour
Mitterrand, il faut prendre de la hauteur et montrer à ce jeune
homme candide et frais qu'il est la grandeur de la France. Dans le
premier plan, Antoine prend le métro boulot dodo pour se retrouver
immédiatement à survoler la cathédrale de Chartres en hélicoptère
tout ça pour que Mitterrand puisse disserter à l'envi sur les
gisants de la capitale, déjà conscient de sa mort proche et de son
héritage qu'il va léguer à la France. Régulièrement il se
compare (toujours en mieux aux prédécesseurs comme aux futurs
successeurs. Lui seul a régné 14 ans de suite.
La
maladie est là et le médecin est toujours à ses côtés tout comme
son chauffeur. Ce quatuor va ainsi traverser la France, souvent en
train et se retrouver de temps en temps. L'une des belles scènes est
celle des adieux en fin de mandat, le chauffeur a sorti une bouteille
de Champagne, tout ce qu'il espère est rester au service du
président. L'homme est souvent surprenant dans ses moments d'extrême
intimité, Antoine l'aide ainsi à sortit de son bain, plus tard il
fera ses cartons tout seul, 14 ans de souvenirs et de présidence
dans quelques cartons de déménagement, quelle ironie superbe à
l'image de tout le film.
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