Allons-y
Alonzo. La bande des Pieds Nickelés s'appelle Ribouldingue,
Filochard et Croquignol. Leurs aventures étaient parues dans
L'Epatant, c'est ce que lit Marianne (Anna Karina) quand Ferdinand
(Jean-Paul Belmondo) rentre seul chez lui, abandonnant la soirée
mondaine et sa femme. Marianne est endormie, il la réveille en
douceur.
Quelques
heures plus tôt, ils s'étaient serrés la main, ils avaient fait
mine de ne pas se connaître. Elle était venue garder la fillette de
Ferdinand, une fillette à qui il lit, lui dans sa baignoire fumant
un cigare, elle passant ici et là, L'Histoire de l'art d'Elie Faure.
Pas un livre pour une enfant, grondera l'épouse italienne (Graziella
Galvani).
A
la soirée mondaine, tout le monde parle comme dans une publicité.
Sa femme avait commencé avec sa culotte Scandale, Ferdinand prend un
malin plaisir à se moquer de sa femme, à vilipender cette société
de la publicité. Il en entend et en voit de toutes les couleurs. Il
s'éloigne le plus possible des invités pour aller discuter avec
Samuel Fuller.
Plus
encore que dans Le Mépris que Pierrot le fou suit de
près, entres ces deux super productions et en cinémascope Jean-Luc
Godard a tourné Bande à part, il faut définir le cinéma.
C'est Samuel Fuller qui s'y colle. Tout se résume en seul mot
« émotion ». A sa sortie, la critique ne s'est pas privé
de dire que Pierrot le fou manquait d'émotion.
Ferdinand
abandonne un foyer, un appartement très bourgeois pour l'aventure
avec cette fille qu'il a connue quatre ans auparavant. Au bout de
deux bobines soit 40 minutes, ils échouent dans une bicoque en ruine
au sud de la France avec comme seule lecture Les Pieds nickelés. Ils
ont tué Frank (Georges Staquet), censé être l'oncle de Marianne.
Ne
pas travailler mais chercher de l'argent pour s'acheter des livres.
Ferdinand passe son temps à lire dans le sud, tout l'argent y passe.
Il engueule Marianne quand elle ne ramène pas assez de livres. Elle
veut écouter de la musique, acheter des 45 tours (comme celui de
Richard Anthony), il lui répond furibard « un disque tous les
50 livres ».
Tu
parles Charles. Marianne aime chanter. Trois fois elle chante. Sa
partition la plus connue est « Ma ligne de chance »
auquel Ferdinand répond en parlant « ta ligne de hanche ».
Ils chantent au milieu des arbres dans des longs mouvements de caméra
qui épousent leurs déplacements en circonvolutions. C'est la partie
comédie musicale du film.
Anna
Karina chantait en début de film, avant de partir de Paris « Jamais
je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours ô mon amour », comme
une annonce de leur passion amoureuse. Chanson qui trouvera plus tard
une réponse, encore sur la plage, en chorégraphie « tu sais
ce que tu dis, c'est fantastique mic-mac ».
Raymond
Devos, dans son unique apparition au cinéma n'est pas loin non plus
de la chanson, il fredonne « est-ce que vous m'aimez »
sur un air de piano sans que l'on sache d'où vient ce piano, ni même
ce que Raymond Devos vient faire là si ce n'est la réponse de
Godard à Truffaut qui avait invité Bobby Lapointe dans Tirez sur
le pianiste.
Le
road-movie commence en Peugeot 404, le coffre plein de dollars que
Ferdinand cache à Marianne. Dans leur fuite, ils brûlent la voiture
pour faire croire qu'ils sont morts (ça annonce les accidents de
Week-end). Ferdinand laisse les billets se flamber, ils sont sans
argent, ils devront être des hors la loi.
Marianne
en voudra toujours à Ferdinand. C'est dans Pierrot le fou que
Godard lui fait dire le plus de « gros mots ». Je vois
dans ce langage un parti-pris réaliste qui s'oppose aux bons mots de
Michel Audiard dans les films de Georges Lautner ou Henri Verneuil.
55 ans plus tard, seul Pierrot le fou parle de son époque
sans avoir vieilli.
Les
longs monologues hors champ dans la voiture avec les lumières qui
passent alternativement de chaque côté du pare-brise sont des des
dialogues de sourds mais des regards caméra, fixant l'horizon et le
spectateur dans la salle. Jean-Paul Belmondo s'adressera aux
spectateurs plus tard, encore une fois dans une voiture.
Dans
le sud de la France, il ira au cinéma voir les actualités.
Jean-Pierre Léaud est l'un des trois spectateurs dans la salle. Sur
l'écran, les actualités sur la guerre au Vietnam déversent leurs
images de mort. Pour gagner de l'argent, Ferdinand jouera le riche
Américain qui bombarde Marianne la Viet Cong devant des marins
américains hilares.
Un
perroquet et un fennec tiennent compagnie aux deux fuyards dans leur
maison en ruine. Marianne ne se séparera jamais de sa peluche de
petit chien. C'est un compagnon qu'elle a récupéré, en même que
le livre des Pieds nickelés, dans l'appartement de Ferdinand. Il
marque la part enfantine sans cesse contredite par le comportement de
Marianne.
La
Peugeot 404 est brûlée. Le duo vole une Ford Galaxy dans un garage.
La Ford finit dans l'eau. Ferdinand conduit un tracteur et trimbale
Marianne dans une charrette. Quand le danger approche dans un polar à
la sauce Godard avec des méchants plus patibulaires que nature, un
nain pourvu d'un téléphone portable, ils se séparent. Puis
Ferdinand retrouve Marianne en Alfa Romeo.
Couleurs
du film, bleu, blanc, rouge, dès les générique qui égrène les
lettres du titre par ordre alphabétique. C'est Anna Karina qui porte
un pantalon bleu, un t-shirt blanc et un gilet rouge pendant une
bonne partie du grand finale jusqu'à se permettre, volontairement ou
pas, un superbe faux raccord prolongé sur la tenue d'Anna Karina.
Rengaines
en écho : le « qu'est-ce que j'peux faire, j'sais pas
quoi faire » de Marianne face au « Je m'appelle
Ferdinand » chaque fois qu'elle l'appelle Pierrot. L'ennui de
Marianne est la scène la plus connue de Pierrot le fou, j'aime
beaucoup que Godard aie le chic pour cette petite musique pour ces
petites phrases qui scandent ses premiers films.
J'ai
commencé ces petites notes à propose de Pierrot le fou avec
le réveil de Marianne au retour de Ferdinand chez lui. Il la
réveillait mais peut-être que tout cela n'était qu'un rêve,
peut-être qu'il ne l'a jamais réveillée, le film serait un immense
rêve, Jean-Luc Godard aurait tourné le plus grand film onirique de
l'histoire du cinéma. Oui, elle rêvait, c'est certain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire