mercredi 8 janvier 2020

Tommaso (Abel Ferrara, 2019)


Dès le premier plan de Tommaso, c'est frappant cette ressemblance incroyable entre Willem Dafoe et Abel Ferrara, c'est lui qui est devant la caméra, dans cet salle de classe. Simple question de cadrage et de lumière (une lumière étrange, tout en teinte ocre, à vrai dire c'est la couleur d'une peau au soleil à laquelle j'ai pensé, d'ailleurs le film est entièrement estival), le visage devient celui d'un autre un instant et dans notre esprit, c'est bel est bien Ferrara que l'on voit.

Voici donc étalée sur près de deux heures la vie de ce Tommaso comme l'appellent tout le monde. Il s'appelle Tommy, ou sans doute Thomas, mais depuis qu'il habite à Rome il est devenu Italien. Filmé à Rome certes, mais il ne faut pas s'attendre à voir un seul lieu touristique, bien au contraire, la ville est vide des ses habitants. On entend les cigales à tue-tête et les clochards ivres mort qui gueulent dans la rue.

Ce qui frappe aussi ce sont les longs plans qui accompagnent Tommaso dans sa vie. Si on ne connaissait pas l'acteur (ici dans un rôle tellement opposé à The Lighthouse, quoique) on pourrait voir dans Tommaso un documentaire sur un cinéaste américain exilé à Rome. On le suit dans toutes ses activités (comme ce groupe de discussion d'anciens drogués), dans son travail de cinéaste (il prépare un film qui se passe en Sibérie), dans les courts de relaxation qu'il donne.

Ainsi la première scène est dans une salle de classe. Tommaso apprend l'italien avec une jeune femme brune. Il est le seul élève. Il le parle un peu, plutôt pas mal, non sans quelques hésitations. Il est connu dans son quartier, il passe d'un café à une boulangerie à une épicerie bio. Tous les magasins sont tenus par des femmes. Le monde est tenu par des femmes, à moins que tout cela ne soit que le fantasme de Tommaso, un fantasme perpétuel.

Mais la femme qui est toujours dans l'esprit de Tommaso c'est sa copine de 30 ans de moins que lui et avec laquelle il a eu une petite fille. Nikki (Cristina Chiriac) et DeeDee (Anna Ferrara, la très jeune fille du cinéaste). Le trio offre des scènes terre à terre où tout se passe à merveille. Papa s'occupe de sa fille, il est follement amoureux de sa femme. Ils se font des bonnes pasta le soir, ils se sourient tout le temps.

Tout cela serait écœurant si quelque chose ne venait durablement et sûrement perturber cette vie charmante et idyllique. Trop belle pour être vraie. Petit à petit, sa routine créée à Rome entre ses travaux et sa famille déraille. Ce sont des visions qu'il a, il imagine des choses terribles (se faire arrêter, sa fille se faire écraser et surtout, il voit un type rouquin tourner autour de Kiki avec une arrogance qu'il ne supporte pas).

Ces choses terribles vont peser sur le couple Tommaso Nikki. Abel Ferrara observe ces embûches de la même manière qu'il filmait la vie bien rangée. Il délaye des petits signes, des regards inquiets, des paroles en trop. Il faut les distinguer des pans de scénario du film créés par Tommaso. C'est une plongée dans un cerveau narcissique et paranoïaque où tout passe par le visage de Willem Dafoe, c'est assez fascinant bien qu'un tout petit peu trop long.

1 commentaire:

Jacques Boudineau a dit…

Dans le premier plan du film, quand Tommaso
traverse la cour, la caméra a du mal à le
saisir dans son mouvement. Il y a une sorte
de filage vidéo plutôt crade qui accompagne
l'arrière du personnage. Matériel de prise
de vue un peu trop cheap vu l'intensité
lumineuse romaine ?
Mais aussi difficulté à suivre Tommaso et
Abel Ferrara, qui vont trop vite, trop loin
(la fin du film, quand même ...).
De quels feux brûle encore Ferrara, exilé et,
qui l'eut cru, père de famille ?
Son film est magnifique, il ne garde que l'essentiel,
il parle de lui, de nous, de ce qui fait que nous
sommes des êtres sensibles (photo-sensibles ?),
fragiles, désirant.
La preuve qu'il n'y a que l'essentiel : sur la
commode de la chambre nous pouvons voir une
des dernières photos qui a été faite de John Ford.