dimanche 7 octobre 2018

Tout va bien (Jean-Luc Godard & Jean-Pierre Gorin, 1972)

« On a raison des séquestrer les patrons / Grève illimitée ». Le patron est joué par Vittorio Caprioli. L'acteur italien est peu connu mais a quelques rôles marquants, outre l'homme du marché aux puces dans Zazie dans le métro, on le reconnaît dans Le Magnifique, il est le patron de la maison d'édition de Belmondo et aussi le méchant dans les récits d'aventure qu'il écrit, dans L'Aile ou la cuisse il est le restaurateur frustré qui oblige Louis de Funès sa choucroute en disant « c'est dégueulasse, hein ? » avec une pointe d'accent italien. Pour Godard et Gorin, Vittorio Caprioli est idéal en patron, forcément dégueulasse, l'homme qui dirige cette entreprise de charcuterie industrielle depuis 1967.

Mai 1972, quatre ans après mai 68, son usine est occupée par ses ouvriers. Il n'entre en scène qu'au bout de 10 minutes, éjecté de son bureau telle la foule de la cabine dans Une nuit à l'opéra des Marx Brothers. Ici, il s'agit d'un autre marxisme, tendance léniniste. Godard et Gorin présentent dans ces dix premières minutes leur projet pour Tout va bien, avec un générique, chose qui n'était pas arrivé dans le cinéma de Godard depuis La Chinoise. Son travail dans le Groupe Dziga Vertov s'achève avec ce film, tout comme sa vie avec Anne Wiazemski qui apparaît en fin de film. Au générique pour la première fois apparaît le nom d'Anne-Marie Miéville.

Deux voix dans ces dix premières minutes s'interrogent sur ce qu'il faut pour faire un film, ça consiste d'abord avec un budget (les chèques que le producteur signe – Jean-Pierre Rassam, le beau-frère de Claude Berri), les acteurs engagés, Yves Montand et Jane Fonda et le sujet « les bourgeois qui bourgeoisent, les paysans qui paysannent et les ouvriers qui ouvrièrent ». Quelques vignettes en plan fixe, comme dans un burlesque muet, décrivent les classes sociales de la France pompidolienne, celle qui écoute RTL, Europe 1 qui regarde Léon Zitrone à la télévision donner des nouvelles de Lecanuet et de Mitterrand. C'est cette France assoupie que décrit Tout va bien.

L'usine est occupée, Tout va bien se passe dans cette usine découpée en tranches comme la maison du Tombeur de ces dames de Jerry Lewis. Avec sa caméra, les cinéastes traversent toutes les pièces de cette maison de poupées, en haut à gauche le bureau du patron qui est séquestré avec Suzanne (Jane Fonda) et Jacques (Yves Montand), elle est journaliste à ABS, une radio américaine, il est cinéaste, il n'arrive pas à tourner un film, alors il fait des pubs pour les slips et collants Dim, on les voit sur leur lieu de travail respectif, elle enregistre des chroniques en anglais (pas de sous-titres), il fait danser des filles sur une estrade et les filme.

Parce que ses collègues la désignent comme la spécialiste du gauchisme en France, Suzanne est allée dans cette usine, elle voulait poser des questions au patron, mais elle se retrouve dans la même pièce que le patron, avec Jacques aussi, ils sont enfermés. Dans la pièce à côté, on déchire à grande joie les dossiers, dans l'escalier à droite, on entonne des chansons révolutionnaires, entre l'escalier et cette pièce, on discute politique, Parti Communiste, délégation syndicale, CGT, on s'amuse à ne rien faire. Une ouvrière cause au téléphone avec son mari pour lui annoncer que, comme lui le mois précédent, elle occupe l'usine.

Godard et Gorin veulent aussi montrer les conditions de travail. Malins, ils mettent Montand et Fonda dans l'usine, elle fabrique des saucisses, il découpe des carcasses de porc, après tout ce sont des acteurs, ils peuvent tout jouer même si ce sont des stars. Encore plus malins, les cinéastes montrent par l'absurde le harcèlement du patronat. Le patron veut aller pisser, un ouvrier lui déclare qu'il doit le faire dans les mêmes conditions que lui, 3 minutes chrono pour aller de son bureau jusqu'à l'autre bout de l'usine. C'est une petite revanche mais ça en dit long sur la vie des ouvriers spécialisés comme on dit.


Au bout de quelques chansons, de quelques engueulades, de quelques disputes, cinq jours se sont passés. Nos deux stars se retrouvent chez elles, c'est le Godard plus classique (et Tout va bien est un film fait pour être classique) qui se dessine avec les querelles de couple et la conscience de la vacuité de leur propre boulot. Le film se termine par un long plan séquence de près de 10 minutes sur les cadences infernales dans une grand surface Carrefour. Une bande de gauchistes vient tout renverser avant que des CRS n'interviennent et remettent tout en ordre. Godard lui en aura finit avec son cinéma politique et partira ailleurs, à Grenoble avec Anne-Marie Miéville puis en Suisse.























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