Monument
Valley, en grand, en noir et blanc, et dans le cadre une caravane qui
traverse de droite à gauche laissant derrière elle une traînée de
poussière du désert. Six chevaux conduisent le colonel Thursday
(Henry Fonda), tout fier dans son uniforme bien repassé. Il se rend
à Fort Apache pour en prendre le commandement, il est accompagné de
sa fille Philadelphia (Shirtley Temple), un prénom que portait sa
mère, sa grand-mère etc mais son père la surnomme Phil. Deux
soldats conduisent la caravane, jurant sur ses chevaux. Le ton est
donné ainsi dès les premières scènes. Phil semble s'être
embarquée dans un univers exotique où tout est étonnement, son
père se désespère d'avoir été nommé dans un lieu si reculé, si
loin de la civilisation qu'il affectionne tant. Il est obnubilé par
son statut et se rêve en chef de guerre l'égal de Gengis Khan ou
Alexandre le Grand dont il tentera d'adopter les méthodes.
Le
fort n'est pas aussi majestueux que Monument Valley, c'est un hameau
entre deux rocs, des maisons de bois où vit tout un régiment
d'Irlandais et la famille O'Rourke. Le père (Ward Bond) et le fiston
(John Agar), prénommé Michael. Il fait sa toilette et Phil semble
découvrir pour la première fois la peau d'un homme bien fait de sa
personne. Sans chemise, il est un peu gêné de la situation tout
autant qu'elle, mais elle apprécie de voir ce corps à moitié
dénudé qui contraste avec l'extrême rigueur de l'uniforme de son
père, collet monté qui ne supporte pas que ses subordonnés soient
débraillés. Cette première rencontre entre Phil et Michael est un
coup de foudre mais la jeune femme joue les mijaurées, se vexant
devant l'absence de galanterie du jeune homme. Leur histoire complexe
est l'un des arcs du Massacre de Fort Apache.
L'une
des plus belles scènes consiste en une danse, une marche militaire
organisée par le père O'Rourke, un bal des sous-officiers où tous
les militaires sont sur leur 31. Le colonel Thursday peut être
satisfait de la tenue de ses hommes. La danse commence, Thursday
invite Madame Collingwood (Anna Lee) l'épouse de l'ancien
responsable du fort le Capitaine Collingwood (George O'Brien),
vieille connaissance de Thursday, ils ont eu une histoire commune
complexe. Phil est invitée à danser par O'Rourke père. La marche
commence par duos, puis en quatre danseurs enfin en lignes de huit
danseurs, tous bien alignés. Pas un mot n'est prononcé mais la
tension est à son paroxysme tout comme l'émotion de voir ces deux
familles s'unir le temps de quelques pas sur le parquet comme une
cérémonie de mariage qui ne saurait dire son nom.
C'est
que Thursday ne voit pas d'un bon œil cette amourette entre sa fille
et ce fils d'Irlandais. Il le dira tout net à O'Rourke, ils ne sont
pas de la même classe sociale. Rien n'y fait, Phil et Michael sont
partis à cheval visiter Monument Valley. Mais les Indiens ne sont
pas loin (des sauvages selon Thursday) et menacent Fort Apache. Le
premier affrontement entre Indiens et militaires américains
(d'origine irlandaise ou anglaise, chacun se classe sociale) est
d'une beauté à coupler le souffle. Deux caméras embarquées
suivent les Indiens filmés sur leur droite dans un axe gauche droite
alors que les Américains sont filmés sur leur gauche dans un axe
droite gauche. Cela procure un effet d'affrontement irrésistible,
d'opposition irrémédiable que Thursday voit comme un moyen de
sauver son honneur perdu (cette vieille histoire avec Collingwood),
lui qui a été dégradé de général à colonel.
Choisir
une star comme Henry Fonda pour jouer un colonel obtus et raciste,
lui qui avait joué ce si vaillant Républicain qu'était Abraham
Lincoln, c'est du pur contre-emploi. Face à lui, il place York (John
Wayne) qui ne cessera pendant tout le film d'incarner la raison et la
discussion. York connaît les Indiens, il comprend Cochise (Miguel
Inclan), il sait que l'émissaire du gouvernement Meacham (Grant
Withers) est un homme corrompu. Il n'arrivera jamais à convaincre
Thursday de ne pas attaquer bille en tête et Thursday aura cette
réponse pour clore la discussion et annoncer ses ordres « pas
d'autres questions ? ». Thursday est assis derrière son
bureau et ses subalternes restent debout (il aura la même
condescendance face à Cochise). Mais John Ford s'éloigne cependant
d'un manichéisme trop tranché, Thursday agit en guerrier mais
surprend souvent son monde, ainsi va-t-il lancer la cavalerie pour
soutenir ses soldats partis en éclaireurs.
Comme
souvent les seconds rôles sont particulièrement bien dessinés. En
tête Victor McLaglen (qui avait déjà joué avec Shirley Temple
dans La Mascotte du régiment rare exemple de comédie pure de
John Ford – située en Inde – un film peu aimé mais que
j'apprécie beaucoup). McLaglen est Mulcahy un Irlandais pur souche
qui aime beaucoup l'alcool. Lors du bal, il prend un petit air de
snobinard pour se moquer de son supérieur à mourir de rire. C'est
lui entraîne les nouvelles recrues plus stupides et incompétentes
que jamais. Mulcahy a deux comparses aussi alcoolisés que lui mais
aussi vaillants. Ils vont périr dans le dernier assaut lancé par
Thursday, un suicide militaire qui se terminera en tragédie. Ce qui
n'empêche pas, dans l'épilogue, York de vanter les mérites de
Thursday, première mouture fordienne d'inscription de la légende
plutôt que celle de la véritable histoire.
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