mercredi 10 octobre 2018

Le Massacre de Fort Apache (John Ford, 1948)

Monument Valley, en grand, en noir et blanc, et dans le cadre une caravane qui traverse de droite à gauche laissant derrière elle une traînée de poussière du désert. Six chevaux conduisent le colonel Thursday (Henry Fonda), tout fier dans son uniforme bien repassé. Il se rend à Fort Apache pour en prendre le commandement, il est accompagné de sa fille Philadelphia (Shirtley Temple), un prénom que portait sa mère, sa grand-mère etc mais son père la surnomme Phil. Deux soldats conduisent la caravane, jurant sur ses chevaux. Le ton est donné ainsi dès les premières scènes. Phil semble s'être embarquée dans un univers exotique où tout est étonnement, son père se désespère d'avoir été nommé dans un lieu si reculé, si loin de la civilisation qu'il affectionne tant. Il est obnubilé par son statut et se rêve en chef de guerre l'égal de Gengis Khan ou Alexandre le Grand dont il tentera d'adopter les méthodes.

Le fort n'est pas aussi majestueux que Monument Valley, c'est un hameau entre deux rocs, des maisons de bois où vit tout un régiment d'Irlandais et la famille O'Rourke. Le père (Ward Bond) et le fiston (John Agar), prénommé Michael. Il fait sa toilette et Phil semble découvrir pour la première fois la peau d'un homme bien fait de sa personne. Sans chemise, il est un peu gêné de la situation tout autant qu'elle, mais elle apprécie de voir ce corps à moitié dénudé qui contraste avec l'extrême rigueur de l'uniforme de son père, collet monté qui ne supporte pas que ses subordonnés soient débraillés. Cette première rencontre entre Phil et Michael est un coup de foudre mais la jeune femme joue les mijaurées, se vexant devant l'absence de galanterie du jeune homme. Leur histoire complexe est l'un des arcs du Massacre de Fort Apache.

L'une des plus belles scènes consiste en une danse, une marche militaire organisée par le père O'Rourke, un bal des sous-officiers où tous les militaires sont sur leur 31. Le colonel Thursday peut être satisfait de la tenue de ses hommes. La danse commence, Thursday invite Madame Collingwood (Anna Lee) l'épouse de l'ancien responsable du fort le Capitaine Collingwood (George O'Brien), vieille connaissance de Thursday, ils ont eu une histoire commune complexe. Phil est invitée à danser par O'Rourke père. La marche commence par duos, puis en quatre danseurs enfin en lignes de huit danseurs, tous bien alignés. Pas un mot n'est prononcé mais la tension est à son paroxysme tout comme l'émotion de voir ces deux familles s'unir le temps de quelques pas sur le parquet comme une cérémonie de mariage qui ne saurait dire son nom.

C'est que Thursday ne voit pas d'un bon œil cette amourette entre sa fille et ce fils d'Irlandais. Il le dira tout net à O'Rourke, ils ne sont pas de la même classe sociale. Rien n'y fait, Phil et Michael sont partis à cheval visiter Monument Valley. Mais les Indiens ne sont pas loin (des sauvages selon Thursday) et menacent Fort Apache. Le premier affrontement entre Indiens et militaires américains (d'origine irlandaise ou anglaise, chacun se classe sociale) est d'une beauté à coupler le souffle. Deux caméras embarquées suivent les Indiens filmés sur leur droite dans un axe gauche droite alors que les Américains sont filmés sur leur gauche dans un axe droite gauche. Cela procure un effet d'affrontement irrésistible, d'opposition irrémédiable que Thursday voit comme un moyen de sauver son honneur perdu (cette vieille histoire avec Collingwood), lui qui a été dégradé de général à colonel.

Choisir une star comme Henry Fonda pour jouer un colonel obtus et raciste, lui qui avait joué ce si vaillant Républicain qu'était Abraham Lincoln, c'est du pur contre-emploi. Face à lui, il place York (John Wayne) qui ne cessera pendant tout le film d'incarner la raison et la discussion. York connaît les Indiens, il comprend Cochise (Miguel Inclan), il sait que l'émissaire du gouvernement Meacham (Grant Withers) est un homme corrompu. Il n'arrivera jamais à convaincre Thursday de ne pas attaquer bille en tête et Thursday aura cette réponse pour clore la discussion et annoncer ses ordres « pas d'autres questions ? ». Thursday est assis derrière son bureau et ses subalternes restent debout (il aura la même condescendance face à Cochise). Mais John Ford s'éloigne cependant d'un manichéisme trop tranché, Thursday agit en guerrier mais surprend souvent son monde, ainsi va-t-il lancer la cavalerie pour soutenir ses soldats partis en éclaireurs.


Comme souvent les seconds rôles sont particulièrement bien dessinés. En tête Victor McLaglen (qui avait déjà joué avec Shirley Temple dans La Mascotte du régiment rare exemple de comédie pure de John Ford – située en Inde – un film peu aimé mais que j'apprécie beaucoup). McLaglen est Mulcahy un Irlandais pur souche qui aime beaucoup l'alcool. Lors du bal, il prend un petit air de snobinard pour se moquer de son supérieur à mourir de rire. C'est lui entraîne les nouvelles recrues plus stupides et incompétentes que jamais. Mulcahy a deux comparses aussi alcoolisés que lui mais aussi vaillants. Ils vont périr dans le dernier assaut lancé par Thursday, un suicide militaire qui se terminera en tragédie. Ce qui n'empêche pas, dans l'épilogue, York de vanter les mérites de Thursday, première mouture fordienne d'inscription de la légende plutôt que celle de la véritable histoire.




























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