mercredi 3 octobre 2018

Snake eyes (Brian De Palma, 1998)

Snake eyes est l'un des films de Brian De Palma préféré, mais j'ai beaucoup de films de Brian De Palma, l'un de ceux que je revoie toujours avec plaisir depuis maintenant déjà 20 ans. Pourtant, je ne suis pas un grand fan de Nicolas Cage et son entrée en matière dans ce plan séquence (qu'il soit faux est encore plus depalmien que s'il était vrai et continu) dans les couloirs de ce casino d'Atlantic City promis à la démolition par son propriétaire Powell (John Heard) pour en construire un neuf à la place. Le casino est surtout menacé par un orage violent qui s'abat sur l'océan.

Nicolas Cage est Rick Santoro et il porte une chemise d'un mauvais goût certain (presque aussi kitsch que la veste en peau de serpent dans Sailor et Lula), une chemise pour faire la fête, une chemise de divertissement. Il s’apprête, comme 14000 autres personnes à assister à un match de boxe. Il traverse avec sa fougue de chien fou habituelle les escaliers, les couloirs, téléphone avec son portable, entre partout, croise le boxeur du cru, Lincoln Tyler (Stan Shaw) qu'il encourage à grand cris. Tyler vient du même lycée que Santoro, il lui répétera plusieurs fois montrant sa bague d'alumni.

Le plan séquence détaille tous les recoins de la salle de spectacle et multiplie, dans ses premières secondes, les écrans de télévisions sur lesquels on voit successivement la tempête qui approche (une équipe locale de télévision filme), l'arrivée du Secrétaire à la Défense interviewé par Lou (Kevin Dunn) et la foule qui fait un vacarme du diable. Malgré sa chemise affriolante, Santoro est un policier, mais pas très net. Plutôt du genre à se laisser glisser quelques billets, à cogner un pauvre type (Luis Guzman) et à reluquer les filles (celle qui annonce le round N°7).

Le flic corrompu et bas de plafond rencontre son strict opposé néanmoins son meilleur ami, comme Santoro lui rappelle à longueur de film ; Kevin Dunne (Gary Sinise) – ça m'a toujours intrigué d'avoir donné ce nom de personnage alors que l'acteur Kevin Dunn joue le rôle du journaliste prêt à tout pour un scoop, je ne sais pas si Brian De Palma a choisi volontairement ce nom. Kevin Dunne, portant un bel uniforme bien repassé et orné de nombreuses décorations militaires, loin de la chemise colorée de Santoro, est chargé de la protection du Secrétaire à la Défense.

L'excitation est à son comble, une femme rousse à la robe rouge (Jayne Heitmeyer) vient s’asseoir devant le ring, puis change de place. Tandis que Santoro s'excite pour le combat de boxe, Dunne s'enquiert de savoir qui elle est. Puis, Julia une femme blonde à la robe noire (Carla Gugino) vient parler avec le Secrétaire à la Défense. Tyler perd son match par KO. Deux coups de feu sont tirés qui atteignent le Secrétaire et la femme blonde qui en perd ses lunettes. Santoro, l'air hébété, tente de comprendre ce qui se passe, le public crie de peur et commence à quitter la salle.

Voici pour un résumé objectif de ces quelques vingt premières minutes de Snake eyes où l'homme politique est assassiné. Brian De Palma a montré beaucoup de choses, sa caméra est très mouvante, englobant l'entièreté de la scène pour que le spectateur soir immergé dans l'événement. Cette version est l'officielle, celle que Powell annonce à la presse devant la caméra de Lou : c'est un terroriste palestinien qui a tiré sur le Secrétaire à la Défense, il a été abattu par Kevin Dunne qui se trouvait juste à côté de lui, sans le savoir, il cherchait la femme rousse.

Comme dirait l'autre « ce que vous voyez, ce que vous entendez n'est pas la vérité » The Truth is not the truth, comme l'expliquait un avocat américain récemment. Si j'aime tant Snake eyes c'est que Brian De Palma récrit son film en même temps qu'il le fait. Santoro enquête (sans oublier de changer de chemise pour revêtir une tenue plus appropriée) et entend les personnages principaux qui donnent chacun leur vision de la chose, et en caméra subjective s'il vous plaît, dans un dispositif ludique à la Rashomon. Tous y passent, Tyler, Dunne, Julia et Santoro lui-même, à deux reprises.

Santoro passait pour un couillon, il était prêt à adopter la version officielle, mais certains détails ne lui échappent pas. Ces détails Brian De Palma les avait sans aucun doute filmés mais dans le feu de l'action, le spectateur ne les avait pas vus. Il s'agit maintenant de rembobiner la caméra et de revenir en arrière. Or dans ce casino, il y a un grand nombre de caméras, Santoro consulte le chef de la surveillance du casino (Mike Starr). Le scénario de la paranoïa se développe au fil des découvertes et des retournements de situations tous plus palpitants les uns que les autres avec comme point d'orgue la version de lJulia, la femme blonde qui s'avérait brune et totalement myope, en split-screen, l'un des plus beaux de l’œuvre de Brian De Palma.


On parle souvent du plan séquence d'ouverture mais on évoque rarement celui de l'épilogue. Julia et Santoro se retrouvent quelques mois après cette nuit folle filmée en temps réel par Brian De Palma (une gageure en soi, lui qui aime tant les lentes digressions rythmiques). Ce plan se poursuit, après une courte discussion, sur le générique et sur la mise en place d'une colonne de béton. Dans les dernières secondes, un rubis est découvert, celui de la femme rousse, avant que THE END n'apparaisse, comme un hommage au diamant caché dans Complot de famille le dernier film d'Alfred Hitchcock.



























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