Snake
eyes est l'un des films de Brian De Palma préféré, mais j'ai
beaucoup de films de Brian De Palma, l'un de ceux que je revoie
toujours avec plaisir depuis maintenant déjà 20 ans. Pourtant, je
ne suis pas un grand fan de Nicolas Cage et son entrée en matière
dans ce plan séquence (qu'il soit faux est encore plus depalmien
que s'il était vrai et continu) dans les couloirs de ce casino
d'Atlantic City promis à la démolition par son propriétaire Powell
(John Heard) pour en construire un neuf à la place. Le casino est
surtout menacé par un orage violent qui s'abat sur l'océan.
Nicolas
Cage est Rick Santoro et il porte une chemise d'un mauvais goût
certain (presque aussi kitsch que la veste en peau de serpent dans
Sailor et Lula), une chemise pour faire la fête, une chemise
de divertissement. Il s’apprête, comme 14000 autres personnes à
assister à un match de boxe. Il traverse avec sa fougue de chien fou
habituelle les escaliers, les couloirs, téléphone avec son
portable, entre partout, croise le boxeur du cru, Lincoln Tyler (Stan
Shaw) qu'il encourage à grand cris. Tyler vient du même lycée que
Santoro, il lui répétera plusieurs fois montrant sa bague d'alumni.
Le
plan séquence détaille tous les recoins de la salle de spectacle et
multiplie, dans ses premières secondes, les écrans de télévisions
sur lesquels on voit successivement la tempête qui approche (une
équipe locale de télévision filme), l'arrivée du Secrétaire à
la Défense interviewé par Lou (Kevin Dunn) et la foule qui fait un
vacarme du diable. Malgré sa chemise affriolante, Santoro est un
policier, mais pas très net. Plutôt du genre à se laisser glisser
quelques billets, à cogner un pauvre type (Luis Guzman) et à
reluquer les filles (celle qui annonce le round N°7).
Le
flic corrompu et bas de plafond rencontre son strict opposé
néanmoins son meilleur ami, comme Santoro lui rappelle à longueur
de film ; Kevin Dunne (Gary Sinise) – ça m'a toujours
intrigué d'avoir donné ce nom de personnage alors que l'acteur
Kevin Dunn joue le rôle du journaliste prêt à tout pour un scoop,
je ne sais pas si Brian De Palma a choisi volontairement ce nom.
Kevin Dunne, portant un bel uniforme bien repassé et orné de
nombreuses décorations militaires, loin de la chemise colorée de
Santoro, est chargé de la protection du Secrétaire à la Défense.
L'excitation
est à son comble, une femme rousse à la robe rouge (Jayne
Heitmeyer) vient s’asseoir devant le ring, puis change de place.
Tandis que Santoro s'excite pour le combat de boxe, Dunne s'enquiert
de savoir qui elle est. Puis, Julia une femme blonde à la robe noire
(Carla Gugino) vient parler avec le Secrétaire à la Défense. Tyler
perd son match par KO. Deux coups de feu sont tirés qui atteignent
le Secrétaire et la femme blonde qui en perd ses lunettes. Santoro,
l'air hébété, tente de comprendre ce qui se passe, le public crie
de peur et commence à quitter la salle.
Voici
pour un résumé objectif de ces quelques vingt premières minutes de
Snake eyes où l'homme politique est assassiné. Brian De Palma a
montré beaucoup de choses, sa caméra est très mouvante, englobant
l'entièreté de la scène pour que le spectateur soir immergé dans
l'événement. Cette version est l'officielle, celle que Powell
annonce à la presse devant la caméra de Lou : c'est un
terroriste palestinien qui a tiré sur le Secrétaire à la Défense,
il a été abattu par Kevin Dunne qui se trouvait juste à côté de
lui, sans le savoir, il cherchait la femme rousse.
Comme
dirait l'autre « ce que vous voyez, ce que vous entendez n'est
pas la vérité » The Truth is not the truth, comme
l'expliquait un avocat américain récemment. Si j'aime tant Snake
eyes c'est que Brian De Palma récrit son film en même temps
qu'il le fait. Santoro enquête (sans oublier de changer de chemise
pour revêtir une tenue plus appropriée) et entend les personnages
principaux qui donnent chacun leur vision de la chose, et en caméra
subjective s'il vous plaît, dans un dispositif ludique à la
Rashomon. Tous y passent, Tyler, Dunne, Julia et Santoro
lui-même, à deux reprises.
Santoro
passait pour un couillon, il était prêt à adopter la version
officielle, mais certains détails ne lui échappent pas. Ces détails
Brian De Palma les avait sans aucun doute filmés mais dans le feu de
l'action, le spectateur ne les avait pas vus. Il s'agit maintenant de
rembobiner la caméra et de revenir en arrière. Or dans ce casino,
il y a un grand nombre de caméras, Santoro consulte le chef de la
surveillance du casino (Mike Starr). Le scénario de la paranoïa se
développe au fil des découvertes et des retournements de situations
tous plus palpitants les uns que les autres avec comme point d'orgue
la version de lJulia, la femme blonde qui s'avérait brune et
totalement myope, en split-screen, l'un des plus beaux de l’œuvre
de Brian De Palma.
On
parle souvent du plan séquence d'ouverture mais on évoque rarement
celui de l'épilogue. Julia et Santoro se retrouvent quelques mois
après cette nuit folle filmée en temps réel par Brian De Palma
(une gageure en soi, lui qui aime tant les lentes digressions
rythmiques). Ce plan se poursuit, après une courte discussion, sur
le générique et sur la mise en place d'une colonne de béton. Dans
les dernières secondes, un rubis est découvert, celui de la femme
rousse, avant que THE END n'apparaisse, comme un hommage au diamant
caché dans Complot de famille le dernier film d'Alfred
Hitchcock.
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