Le
Festival Play It Again m'a permis de revoir Vivre sa vie en
copie numérique. C'est un film de Jean-Luc Godard que je n'ai jamais
vraiment aimé, que je n'ai vu cependant qu'une fois en mars 2001 en
35mm. Il était temps que je me fasse une seconde opinion, mais je
garde mes impressions initiales, Vivre sa vie m'enthousiasme
peu en comparaison avec les premiers Godard. J'écrivais en début de
semaine que le générique d'A bout de souffle se contentait
d'un carton, celui de Vivre sa vie est le plus complet
possible avec quelques facéties : « pensé, dialogué,
tourné, monté, bref mis en scène par J-L Godard » affirme un
carton.
En
toute fin de film, la voix de Jean-Luc Godard se fait entendre en off
et le cinéaste, se substituant au jeune homme (Peter Kassowitz) qui
lit du Edgar Poe, déclare « c'est notre histoire, un peintre
qui fait le portrait de sa femme ». Anna Karina s'appelle Nana,
simple anagramme de son prénom. Jean-Luc Godard la filme sous toutes
les coutures, profil gauche, de face, profil droit, de dos (dans deux
des douze tableaux de Vivre sa vie, Anna Karina ainsi que
André S. Labarthe comme Saddy Rebbot sont aussi filmés de dos, ce
dernier masquant le visage de face d'Anna Karina). Il la peint en 35
mm au format 1:37 et dans un noir et blanc graphique à souhait.
Nana
travaille à Pathé Marconi (la voix de son maître) elle vend des
disques avec une nonchalance que montre le plan séquence dans le
tableau 2 où la caméra la suit en travellings à travers les
rayons, allant voir ses collègues, retournant au client. Nana va au
cinéma voir Passion de Jeanne d'Arc de Carl Theo Dreyer, le
compatriote de l'actrice. Sur l'écran Falconetti en gros plan qui
apprend d'Antonin Arthaud qu'elle sera condamnée au bûcher, dans la
salle Nana pleure. Nana ne peut pas payer son loyer, elle se fait
virer par le concierge sans ménagement, elle erre dans Paris la
nuit, toujours cette belle manière de filmer les rues, les gens qui
passent, des instantanés.
Nana
passe le plus clair de son temps dans les bistros (on croise Jean
Ferrat quand passe sa chanson). Elle fume des cigarettes, des
Gauloises. Elle discute avec les hommes, de tout, de rien, parfois de
philosophie. Raoul, le personnage de Saddy Rebbot, va devenir son
souteneur. Nana a besoin de 2000 francs, pour vivre sa vie, elle ne
les trouve pas, elle va se prostituer plutôt que voler. Un étonnant
dialogue entre Raoul et Nana déclame tout le contenu de la loi sur
la prostitution ainsi que les devoirs de la femme envers son
maquereau. C'est là une analyse clinique où le regard d'Anna Karina
écoute attentivement.
Vivre
sa vie est un film doux et rude de Jean-Luc Godard. Doux parce
que sans accroc entre les plans, doux comme le visage d'Anna Karina
dont il était terriblement amoureux, doux dans les mouvements de
caméra, dans ses clins d’œil (l'affiche de Jules et Jim).
Inversement, Vivre sa vie est un film rude à cause de son
sujet, de cette descente aux enfers similaire à celle que subit
Jeanne d'Arc (la scène avec le jeune homme reprend ces sous-titres à
la manière de Dreyer). Les 12 tableaux s'entrechoquent dans une
progression en hommage à la narration de Robert Bresson jusqu'à la
mort finale, vivre sa mort.
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