Il
ressemble à un corbeau le Dr. Antonio (Peppino de Filippo), tout de
noir vêtu, du chapeau au costume avec sur son visage une moustache.
La petite voix aigrelette (celle du diable probablement) du prologue
le présente, un contempteur de la nudité, un partisan du bon goût,
un admirateur de l'église et de l'ordre établi, bref un partisan de
la censure. Il passe ses soirs, à bord de sa minuscule Fiat 500, à
débusquer ceux qui se pelotent dans les allées des parcs de Rome, à
leur faire la morale, convoquant la police pour appréhender les
dragueurs. Il interrompt les spectacles de cabaret aux filles
dénudées. Avec ses amis aussi moralisateurs que lui, il donne de
grands discours et va gronder une dame à la poitrine trop visible à
ses yeux. Il fait la quête à l'église et récompense les scouts.
La
petite voix annonce qu'il est temps de passer à l'histoire de cet
homme dans la Rome de 1962, une Rome colorée que Federico Fellini
dépeint en peintre, multipliant les touches de couleur des nombreux
figurants qui s'agitent dans les décors naturels de la ville dans un
ballet perpétuel. Ici passent des nonnes en blanc, des curés en
rouge, des baigneurs du dimanche sur la rivière tous en tenues
bariolées, là les cyclistes du Giro, un tournage d'un péplum à
Cinecitta, toutes ces couleurs de cette joie de Rome de 1962, voilà
l'ennemi du Dr. Antonio. Il préfère les rangs d'oignon des scouts,
bien alignés dans ce grand parc en face de son immeuble. Son
discours bien propre sur lui commence à être perturbé par
l'arrivée de camions et de grues mécaniques.
Une
ritournelle « bevete piu latte », buvez plus de lait, se
fait entendre autour d'un immense panneau publicitaire. Avant de le
montrer en entier, Federico Fellini met en scène sa construction,
une pagaille incroyable de sons et de gesticulation, la caméra ne
cesse jamais de bouger, le Dr. Antonio passe devant les pelles
mécaniques, il scrute les cinq morceaux du panneau en train de
s'assembler, les ouvriers qui crient et surtout la foule qui
s'approche attirée par ce remue-ménage comme des papillons de nuit
par un lampadaire. Une troupe de jazzmen afro-américains arrivent
soudain sans qu'on sache comment ils ont débarqué là et
reprennent, avec grand sourire, les ritournelles de Nino Rota,
joyeuses et enjouées. Ne reste au milieu que l'air décontenancé et
mécontent que ce pauvre Dr. Antonio Mazzuolo, mêmes les curés et
les scouts applaudissent à cet spectacle.
Anita
Ekberg vante les mérites du lait dans cette affiche gigantesque,
allongée sur un canapé tenant un verre. L'idole de La Dolce vita
joue son propre rôle dans ce sketch de Boccace 70, mais un
rôle encore plus grand de sex symbol que le Dr. Antonio veut
censurer. Anita sur ce panneau est pile en face de ces cinq fenêtres.
Il remue ciel et terre (surtout le ciel) et Anita lui répond. La
photo se modifie (Anita fait le geste du diable), apparemment seul le
Dr. Antonio voit cela. Anita prend vie pour tenter ce cul-bénit,
dans sa robe noire pailletée, elle traverse le décor devant Antonio
tout riquiqui. Dans la nuit romaine éclairée par les lampadaires,
enfin comme tous les autres Romains, le Dr. Antonio entre dans la
danse, à son grand dam, tout à la fois énamouré par la beauté
d'Anita Ekberg et navré de succomber à son charme. Il finira au
petit matin dans son pyjama blanc après avoir abandonné son costume
de corbeau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire