vendredi 27 avril 2018

Ken Le Sabre (Kenji Misumi, 1964)

Le fracas des sabres en bois, les bordées de hurlement, le crissement des pieds nus sur le sol. Ken le sabre, c’est d’abord le son des entraînements des pratiquants de kendo. Sous la tenue, ils se ressemblent tous. Une armure sur le torse, un masque sur les têtes, des gants aux mains et une longue robe noire ne permettent pas de distinguer qui que ce soit. C’est pourtant Jiro Kokubun (Raizô Ichikawa, son acteur fétiche à cette époque) qui est choisi par les maîtres pour être le capitaine de l’université de Towa au détriment de Kagawa (Yûsuke Kawazu). Le film se déroule en 1963 mais est pourtant filmé en noir et blanc alors que Kenji Misumi tournait en couleurs depuis Tuer.

Les deux étudiants s’affrontaient pour être le leader et ils s’opposent dans leur tempérament comme dans leurs vêtements de tous les jours. L’uniforme d’étudiant pour l’un et pantalon chemise pour l’autre. Kagawa est un bon vivant, il aime fumer, jouer au mah-jong et draguer les filles. Kokubun semble ne jamais avoir vécu que pour pratiquer le kendo. Il est puceau, ne se divertit jamais et pratique une discipline de vie très stricte. Il essuie d’ailleurs les critiques de Kagawa à ce sujet. Devant des amis, Kagawa estime que l’attitude du capitaine est remplie d’orgueil. En privé, il exprime à la fois sa haine et son admiration.

Ce que cette opposition reflète est deux visions de vie totalement différente. Inspiré d’un livre de Mishima, Ken le sabre explore l’idéal de Jiro qui ne regarde que vers le passé et qui entend conserver toute la pureté de sa jeunesse. Aucune corruption ne doit entamer son aptitude au kendo. On découvre sa mère qui joue au mah-jong et qui ne le regarde même pas quand il passe la voir. On rencontre son père, directeur d’une usine, qui l’encourage à profiter de la vie et aller flirter avec les filles. Pour eux, le kendo est un symbole d’un Japon désuet et révolu. Ces symboles de la modernité, Jiro les rejette avec calme et détermination.

Au sein de son équipe, Jiro a un grand admirateur. Mubi (Akio Hasegawa) est un cadet, un étudiant qui débute dans le kendo. Il n’a pas encore le droit de s’entrainer avec les aînés. Mubi, au visage poupon, est moqué à la fois par sa sœur quand elle le surprend en train de se raser et par les autres qui jugent son engagement auprès de Jiro. Il écoute les critiques de Kagawa et entend faire réprimander l’insolent. Lors d’un bain, Mubi frappe un de ses comparses ce qui leur vaut à tous deux une punition (rester assis 40 minutes face à un mur). Seul Mubi accepte avec abnégation la punition.

Les rapports que le cadet entretient avec Jiro sont emplis d’admiration mutuelle pour la discipline et la justesse du combat. Le film glisse ici ou là des allusions sexuelles entre eux, notamment lors d’une scène de bain où Mubi choisit de laver Jiro plutôt que Kagawa, ce qui accentue la jalousie de ce dernier. Ces bains, certes rituels après l’entrainement, prennent une tournure érotique d’autant plus accentuée par le fait que Jiro refuse les avances d’Itami (Fuji Yukiko), l’une des amies modernes (elle sort des mots en anglais) de Kagawa. Ils se rencontrent dans une belle scène où il hésite à sauver un pigeon.


Jiro ne supporte pas la faiblesse. Ni celle du pigeon blessé qu’il veut étrangler, ni celle de ses parents banals, ni celle de ces jeunes Japonais qu’il punit et humilie dans un bar en les forçant à quitter les lieux. La première partie du film décrit avec minutie la lutte de Jiro contre le Japon de 1964, lutte vaine qu’il cherche à transformer en victoire dans la deuxième partie où l’équipe s’entraîne sous ses ordres. Le visage de Raizô Ichikawa impavide reflète tous ses espoirs. Mais la faiblesse de Jiro est justement cette force qu’il n’arrive pas à rendre émouvante pour ses camarades. Le film prend un tour tragique quand il constate que son utopie s’effondre.

























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