Milos
Forman a longtemps représenté à lui tout seul le cinéma
tchécoslovaque, plus encore que Vera Chytilova la première cinéaste
de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, que Zdenek Miler l'inventeur de
la Petite taupe ou Ivan Passer, ce dernier est au générique
de L'As de pique comme assistant réalisateur. Milos Forman
n'a tourné pourtant que trois films en Tchécoslovaquie, après L'As
de pique ce sera Les Amours d'une blonde puis Au feu
les pompiers, en compétition au Festival de Cannes 1968 mais
jamais projeté après l'interruption du Festival.
L'As
de pique, ce Pierrot noir du titre original est Petr (Ladislav
Jakim), pas très grand, une moustache encore mal dessinée sur le
visage poupon. Petr arrive le dernier à l'épicerie où il doit
commencer son premier travail. Son patron ouvre la porte à toutes
les employées qui défilent dans la boutique avant de mettre leur
uniforme sous son regard amusé, il affirme en avoir déjà vu
d'autres. Petr se voit assigner une tâche ingrate, surveiller les
clients et faire attention à ce qu'ils ne dérobent aucun produit.
Le patron avec ses gros yeux observe Petr observer les
clientes (ce sont surtout des femmes).
Le
jeune homme semble, avec sa blouse blanche, comme un éléphant au
milieu d'un magasin de porcelaines. Tout le monde repère qu'il est
un employé d'autant plus qu'il aborde un regard insistant sur les
clients. Le patron lui demande d'enlever la blouse et Petr se met à
suivre un homme qu'il soupçonne de vol. Il va le suivre pas
seulement dans la boutique mais quitter son poste et traverser la
ville derrière lui. Milos Forman donne le ton de son film et de tout
son cinéma dans cette poursuite drôlatique et absurde, un jeune
homme qui suit aveuglément un ordre aberrant.
Petr
vit encore chez ses parents. La mère fait la cuisine et le père ne
cesse, dans chacune des scènes familiales, de l'interroger sur sa
vie, son travail et ses amours. Petr semble constamment amorphe, un
peu mou, ne sait jamais quoi répondre aux questions du paternel.
C'est le choc des générations en œuvre, les parents nés avant
guerre (sur le mur de la pièce principale le tableau d'une Vierge à
l'enfant trône en bonne position) mais qui a vécu toute sa vie
d'adulte sous l'ère socialiste face à la jeunesse née après
guerre et qui vit dans une période de réformes sous l'ère Dubcek
avant que les forces soviétiques ne viennent écraser le Printemps
de Prague en 1968.
Petr
a d'autres préoccupations dans la vie : les filles. Surtout
une, Pavla (Pavla Martinkova), brunette aux cheveux courts. Mais Petr
est timide, maladroit, pas très malin pour tout dire. La grande
séquence de L'As de pique se déroule dans un bal populaire
où Petr veut danser avec Pavla et tenter sortir avec elle. Il est
accompagné de son meilleur ami. Il est vite abordé par Cena
(Vladimir Pucholt) vu dans une scène précédente. Cena va passer
son temps à taquiner Petr avec son « bonjour » sonore
auquel Petr répond par un salut mou comme l'est son comportement
habituel. « Ahoj, ahoj, ahoj », une répétition jusqu'à
l'absurde.
Cette
jeunesse est décrite par petites touches sensibles non dénuées
d'humour, entre ce à quoi elle aspire et ce qu'elle vit. Des boulots
peu enthousiasmants (Cena montre ses mains de maçon à Petr à le
demande du père pour montrer ce qu'est un vrai travail) mais Petr
préfère admirer un tableau de nu féminin acheté par son patron.
Patatras, le tableau tombe et se casse, peu importe, Petr prend la
toile abîmée c'est déjà mieux que la Vierge à l'enfant du salon.
Le film s'achève sur une longue discussion moralisatrice du père et
Milos Forman fige par deux fois le visage du père qui semble
s'arrêter de vivre.
Ces
deux films suivants sont encore meilleurs mais c'est la période
américaine de Milos Forman que j'adore, tout particulièrement Larry Flynt et Man on the moon splendides portraits d'oustiders
comme l'était en 1963 ce Petr de L'As de pique. Je reviendrai
prochainement sur deux autres films américains que je n'ai pas vus
depuis bien longtemps, Vol au dessus d'un nid de coucou et
Amadeus. Comme je l'avais écrit l'an dernier, j'ai beaucoup
de tendresse pour Hair que beaucoup jugent vieillot. Quant on
mal-aimé Valmont, il souffrira toujours de la comparaison avec le
film de Stephen Frears.
RIP
Milos Forman
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