Le
générique des films de Jean-Luc Godard n'a jamais été son beau
souci sauf pour en jouer (Une femme est une femme, Détective).
A bout de souffle se contente d'un carton. Je me suis toujours
demandé s'il avait donné ce titre pour son premier long-métrage
pour en tête des encyclopédies de cinéma (j'ai vérifié, ça
marche). Ce qui est à bout de souffle c'est le cinéma français
pour le jeune cinéaste et encore plus pour ses confrères des
Cahiers du cinéma (Godard a peu écrit sur le cinéma français),
cible Les Tricheurs de Marcel Carné comme incarnation de la
jeunesse.
Le
renouveau, la jeunesse est toute dans Jean-Paul Belmondo avec un
ouverture du film qui scandalisa les défenseurs du si poli film de
Marcel Carné. Michel Poiccard, le personnage de Belmondo, est
grossier. Au volant de la voiture qu'il vient de voler sur le port de
Marseille, il traite les autres conducteurs de cons, il sort quelques
« merde » et, regardant la caméra dit aux spectateurs
qu'il prend à témoin son légendaire « si vous n'aimez pas la
mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville,
allez-vous faire foutre ».
Belmondo
avait quelques années de moins que Godard, ils avaient déjà tourné
ensemble. Dans A bout de souffle, Poiccard aime par dessus
tout Humphrey Bogart dont il imite le geste, passer son pouce sur ses
lèvres. Il fume clope sur clope, allumant une nouvelle avec son
précédent mégot. Il porte des lunettes noires et une cravate.
Jean-Luc Godard cherche à tout prix à faire un polar et se retrouve
à tourner un documentaire sur Paris en août 1959. Poiccard passe
d'une rue à l'autre, en voiture, à pied, en courant. Le film est
l'un des plus impressionnant regard sur Paris.
Poiccard
traverse la ville pour lire des journaux, ils sont en abondance dans
A bout de souffle. Il cherche surtout à acheter France Soir
qui édite régulièrement de nouvelles éditions, il veut savoir où
avance la police dans l'enquête sur le meurtre que Poiccard a commis
en début de film. Le Figaro servira à essuyer ses chaussures. Les
femmes qu'il croise lisent autres choses, Elle ou Life. Dans la rue,
une jeune fille vend les Cahiers du cinéma « vous n'avez rien
contre la jeunesse ? ». Michel Poiccard réplique qu'il
n'aime que les vieux.
« On
dit je me le rappelle ou je m'en souviens » Michel corrige la
jeune Patricia (Jean Seberg), une pigiste du New York Herald Tribune.
Vêtue d'un petit pantalon, cheveux courts, vraie garçonne, elle
vend à la volée son journal sur les Champs Elysées. Michael lui
fait du gringue pas possible, le lourdaud par excellence. Avec son
petit sourire, elle se laisse draguer, il n'en finit pas de parler,
la flatte sur sa beauté tout en la traiter régulièrement d'idiote.
Il veut coucher avec elle tout en se vantant d'avoir séduit d'autres
filles depuis la dernière fois qu'ils se sont vus.
Cette
comédie amoureuse est l'axe du film avec comme paroxysme cette
séquence d'une vingtaine de minutes dans la petite chambre d'hôtel
de Patricia. Toute l'action s'interrompt pour accélérer le double
jeu de séduction. Il s'est incrusté dans sa chambre pour dormir,
elle débarque au petit matin et le trouve en caleçon dans son lit.
Cette bataille de langage, ces argumentations à n'en plus finir sont
concrétisées dans ce montage par à-coups où Godard ne se soucie
de la continuité des raccords. Poiccard applique son instabilité au
montage.
Le
film policier est relancé avec l'arrivée de deux policiers (Daniel
Boulanger joue le commissaire). Jean-Luc Godard joue un délateur
(« le plus gros des défauts, c'est la lâcheté » dit
Poiccard), il remarque la photo de Michel dans un journal et va le
dénoncer à la police. Poiccard continue de voler des voitures, des
américaines forcément pas des Citroën, et embarque Patricia avec
lui qui reste innocente à toute cette histoire, elle poursuit son
boulot, va interviewer Parvulesco (Jean-Pierre Melville) sur le
tarmac de l'aéroport d'Orly.
Les
deux récits continuent de se frotter, de se malaxer avec encore des
heurts de langage. Patricia ne comprend plus vraiment ce qu'elle
vient faire dans cette histoire, elle pose des questions d'enfant
jusqu'à son « qu'est-ce que c'est dégueulasse ? »,
Poiccard poursuit inlassablement la recherche d'un homme qui doit lui
donner de l'argent, il en parle tout le film, le cherchant en vain
dans tout Paris pour finalement le trouver avant que l'étau fatal ne
se resserre sur lui. Il finit comme il a commencé, avec ses trois
grimaces, abattu dans le dos, n'en finissant pas de s’effondrer sur
le bitume dans un dernier sursaut de fanfaronnade. Patricia reproduit
le geste de son pouce sur ses lèvres.
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