La
très courte durée de Tuer
(71 minutes) n’empêche pas le film de Kenji Misumi de se dérouler
sur une très longue période, de la naissance de Shingo Takakura
(Raizô Ichikawa) à sa mort près de trente ans plus tard. Le récit,
qui commence en 1833, est une suite de morts au sabre. Dès le
générique, Fujiko (Shiho Fujimura) tue de plusieurs coups de
poignard la maîtresse d’un seigneur qui risque de nuire au clan
Iida. Elle sera exécutée au sabre, son regard calme se portant sur
son bourreau. Cette femme est la mère de Shingo et le nourrisson est
emmené loin du clan Iida pour être adopté par le samouraï
Takakura du clan Komoro.
L’idée
maîtresse de Tuer
repose sur la dilatation et la compression du temps. Entre la scène
primitive et l’âge adulte de Shingo, aucune information n’est
donnée. On récupère l’histoire au bout de vingt ans. Takakura
est veuf et Shingo a une petite sœur. Cette ellipse narrative évoque
cependant le fait que l’enfant adoptif n’est pas au courant de
son ascendance. Il est persuadé que Takakura est son père naturel.
Adulte, il décide de découvrir le monde et part en voyage, seul. Il
ne revient que trois ans plus tard, là encore au prix d’une
ellipse du récit. En moins de dix minutes, il s’est déroulé 25
ans de film, mais sans aucune action ou presque.
Shingo
est convaincu par son père qu’il doit participer à un défi au
sabre. Ne serait-ce que parce que le voisin a inscrit son fils, par
ailleurs amoureux de la jeune sœur. Un fameux bretteur est venu
rendre visite au château du seigneur. Si le fils du voisin se fait
humilier au combat, Shingo impressionne par une botte secrète qu’il
a ramenée de son voyage. Le déshonneur du voisin, dont le fils se
voit refuser la main de la fille de Takakura, décide de se venger et
révèle le secret de la naissance de Shingo à tous les autres
samouraïs. Seulement voilà, le jeune homme entend tout.
Ce
secret, que nie d’abord farouchement le père de Shingo, sera
ensuite entièrement décrit dans un flash-back où l’histoire de
Fujiko est totalement racontée. La scène primitive de Tuer
n’était que partielle voire mensongère. Kenji Misumi donne des
informations essentielles sur le passé des parents naturels de
Shingo, sur leur amour prochain et révèle l’identité de son
père. Ce passé funeste sous-tend la fatalité du destin de Shingo,
né à cause d’un meurtre, toute sa vie sera placée sous le signe
des cadavres tués au sabre. En tout premier lieu sa sœur et son
père, qui délivre ce secret agonisant après la vengeance du
voisin.
Shingo
est convaincu qu’il ne peut pas protéger les gens et une preuve
supplémentaire lui est apportée lors d’une rixe entre samouraïs.
Une femme et son frère lui demande de l’aide, la femme meurt sous
les coups des sabres. C’est la troisième femme qui meurt par sa
faute, pense-t-il. Il confesse à son nouvel employeur, un conseiller
shôgunal d’âge mur, qu’il ne voudra jamais se marier. Pour
Shingo, protéger cet homme qui a l’âge de son père est un moyen
de retrouver une famille et de conjurer le sort qui s’acharne sur
lui. C’était sans compter sur les guerres de clan.
Pour
créer une tension narrative de son récit, Kenji Misumi et Kaneto
Shindo, le scénariste de Tuer,
opposent ces longues ellipses avec des séquences de combat très
courtes où en plan séquence avec un simple travelling Shingo décime
tous ses adversaires. Pour accentuer encore la détresse de Shingo,
il plonge le personnage dans une demeure immense et labyrinthique où
il ne trouve aucun adversaire tandis qu’il cherche son patron. Le
film symbolise ici le vide de sa vie et la perte de ses repères
familiaux qui ne peuvent mener qu’à sa fin aussi tragique que
solitaire.
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