jeudi 26 avril 2018

Kiru Tuer (Kenji Misumi, 1962)

La très courte durée de Tuer (71 minutes) n’empêche pas le film de Kenji Misumi de se dérouler sur une très longue période, de la naissance de Shingo Takakura (Raizô Ichikawa) à sa mort près de trente ans plus tard. Le récit, qui commence en 1833, est une suite de morts au sabre. Dès le générique, Fujiko (Shiho Fujimura) tue de plusieurs coups de poignard la maîtresse d’un seigneur qui risque de nuire au clan Iida. Elle sera exécutée au sabre, son regard calme se portant sur son bourreau. Cette femme est la mère de Shingo et le nourrisson est emmené loin du clan Iida pour être adopté par le samouraï Takakura du clan Komoro.

L’idée maîtresse de Tuer repose sur la dilatation et la compression du temps. Entre la scène primitive et l’âge adulte de Shingo, aucune information n’est donnée. On récupère l’histoire au bout de vingt ans. Takakura est veuf et Shingo a une petite sœur. Cette ellipse narrative évoque cependant le fait que l’enfant adoptif n’est pas au courant de son ascendance. Il est persuadé que Takakura est son père naturel. Adulte, il décide de découvrir le monde et part en voyage, seul. Il ne revient que trois ans plus tard, là encore au prix d’une ellipse du récit. En moins de dix minutes, il s’est déroulé 25 ans de film, mais sans aucune action ou presque.

Shingo est convaincu par son père qu’il doit participer à un défi au sabre. Ne serait-ce que parce que le voisin a inscrit son fils, par ailleurs amoureux de la jeune sœur. Un fameux bretteur est venu rendre visite au château du seigneur. Si le fils du voisin se fait humilier au combat, Shingo impressionne par une botte secrète qu’il a ramenée de son voyage. Le déshonneur du voisin, dont le fils se voit refuser la main de la fille de Takakura, décide de se venger et révèle le secret de la naissance de Shingo à tous les autres samouraïs. Seulement voilà, le jeune homme entend tout.

Ce secret, que nie d’abord farouchement le père de Shingo, sera ensuite entièrement décrit dans un flash-back où l’histoire de Fujiko est totalement racontée. La scène primitive de Tuer n’était que partielle voire mensongère. Kenji Misumi donne des informations essentielles sur le passé des parents naturels de Shingo, sur leur amour prochain et révèle l’identité de son père. Ce passé funeste sous-tend la fatalité du destin de Shingo, né à cause d’un meurtre, toute sa vie sera placée sous le signe des cadavres tués au sabre. En tout premier lieu sa sœur et son père, qui délivre ce secret agonisant après la vengeance du voisin.

Shingo est convaincu qu’il ne peut pas protéger les gens et une preuve supplémentaire lui est apportée lors d’une rixe entre samouraïs. Une femme et son frère lui demande de l’aide, la femme meurt sous les coups des sabres. C’est la troisième femme qui meurt par sa faute, pense-t-il. Il confesse à son nouvel employeur, un conseiller shôgunal d’âge mur, qu’il ne voudra jamais se marier. Pour Shingo, protéger cet homme qui a l’âge de son père est un moyen de retrouver une famille et de conjurer le sort qui s’acharne sur lui. C’était sans compter sur les guerres de clan.


Pour créer une tension narrative de son récit, Kenji Misumi et Kaneto Shindo, le scénariste de Tuer, opposent ces longues ellipses avec des séquences de combat très courtes où en plan séquence avec un simple travelling Shingo décime tous ses adversaires. Pour accentuer encore la détresse de Shingo, il plonge le personnage dans une demeure immense et labyrinthique où il ne trouve aucun adversaire tandis qu’il cherche son patron. Le film symbolise ici le vide de sa vie et la perte de ses repères familiaux qui ne peuvent mener qu’à sa fin aussi tragique que solitaire.


















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