Les
aboiements des chiens sont traduits et doublés en anglais, voici ce
qu'indique un carton en début de film pour indiquer au spectateur
qu'il n'a pas besoin de comprendre le langage canin pour regarder
L’île aux chiens (non pas Island of dogs mais Isle of dogs
comme I Love dogs). Un autre carton précédent annonce que les
dialogues des Japonais seront compréhensibles grâce à la voix de
mademoiselle Nelson (Frances McDormand ou Isabelle Hupert) ou par le
truchement d'un ordinateur qui fait office de traducteur. (Et par
chance les sous-titres ne sont pas sur l'image mais dans la bande
noire).
Il
existe véritablement deux versions sonores du film, aussi réussies
l'une que l'autre. J'ai commencé par la version française avec une
surprise de taille, entendre Jean-Pierre Léaud faire la voix d'un
chien, le dénommé Gondo (en anglais c'est Harvey Keitel dont je
connais moins la voix), les déraillements de sa voix font merveille
pour ce gros toutou dans la situation qui est la sienne à ce moment
du film (je vais tenter de raconter le fil du récit le moins
possible pour une fois). Daniel Auteuil quant à lui est Jupiter, le
vieux sage qui conseille Chief et sa bande.
On
pourrait presque ne parler que des différences de ton et
d'intonation de chacune des deux versions. Ainsi Vincent Lindon
incarne la voix grave (et enfumée) de Ryan Cranston pour Chief, le
chien mal léché, rebelle et sale de l'île aux ordures (Trash
Island) où sont parqués les chiens depuis que le maire Kobayashi a
décider d'éradiquer la race canine pour les chats (l'animation
japonaise regorge de chats de Kié la petite peste de Isao
Takahata à Kiki la petite sorcière de Hayao Miyazaki en
passant par le si bien nommé Royaume des chats de Hiroyuki
Morita).
Chief
serait le personnage principal du film, un anti-héros par excellence
qui va être suivi par quatre autres toutous aux noms de « leaders »,
King, Rex, Boss et Duke. Leur engeance démarre lors d'une hilarante
baston avec cinq autres chiens dans un nuage de coton pour
s'approprier un sac de déchets ménagers. Le quatuor est la caution
comique, constamment à vouloir voter pour chaque action quand il
faut agir sur le champ. Duke (avec la douce voix de Mathieu Amalric)
demande souvent si ses comparses connaissent telle rumeur, il adore
les ragots.
L'arrivée
du neveu du maire Kobayashi sur l'île, le jeune Atari se fait telle
celle du petit Prince de Saint-Exupéry, sur un petit avion sur une
planète inconnue. Drôle de tête qu'a Atari, débarquant dans un
costume d'astronaute, une pique planté dans le casque, une dent en
moins dans la bouche, le visage pâle. Un peu fantôme errant. Atari
est orphelin, adopté par son oncle et son chien a été le premier a
avoir été déporté sur l'île. Il est parti à sa recherche. Le
chien s'appelle Spots (taches) et il semble être une légende, selon
la rumeur de Duke.
Avec
ses petites marionnettes, son animation à l'ancienne image par
image, sauf dans les reportages télé où l'animation est en dessin
(toute l'information aux humains passe par la télévision,
instrument d'abrutissement de masse et de propagande à la solde de
Kobayashi) L’Île aux chiens cherche une voix différente
vers le naturalisme. Il prend la forme de descriptions : l'état
général des chiens, la fabrication de sushis ou l'opération
chirurgicale. Chaque scène est l'occasion d'une grande minutie, d'un
sens du détail inégalé, d'un plaisir visuel.
Le
film fonctionne par petit groupe, sur l'île les cinq chiens et Atari
font faire un périple et rencontrent d'autres chiens (les
personnages féminins canins sont plus ingrats, cantonnés dans de
petits rôles, mamans, acrobates, et pourvus de peu de dialogues). Au
Japon, deux groupes s'opposent, Kobayashi et sa clique anti-chien
dont le géant Major Domo, sinistre éminence grise du maire, sorte
de Nosferatu aux dents pourries, au visage de cendre, serait le
véritable auteur de cette haine du chien, créateur d'une armée de
robots féroces qui viennent régulièrement pour tuer Chief et ses
acolytes.
Face
à lui, une étudiante américaine, une blonde aux grands cheveux
(Greta Gerving prête sa voix à la fois en anglais et en français)
et quelques résistants sont des lanceurs d'alerte. Elle enquête sur
ce complot, sur la corruption des édiles et tombe amoureuse à
distance d'Atari. C'est dire à quel point Wes Anderson structure son
récit autour de variations non seulement naturalistes mais aussi
politiques sur un motif de quête qui pourrait faire penser à un
scénario de Pixar (le héros de Pixar est toujours perdu dans un
univers inconnu et cherche à revenir à son habituel confort) mais
qui en est l'antithèse absolue.
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