Tous
les matins, la routine s'enclenche. L'infirmière en chef Mildred
Ratched (Louise Fletcher) entre dans l'hôpital, elle ferme la porte
à barreau à clé, elle revet son uniforme, elle met en marche le
tourne-disque avec chaque fois le même morceau de musique vieillotte
douceâtre et entêtante. C'est le signal, suivi d'une annonce au
micro, que l'heure de venir chercher ses médicaments est arrivée
pour les patients qui défilent en silence.
C'est
par cette simple entrée que Milos Forman présente les personnages
de Vol au dessus de nid de coucou. Les deux infirmières énoncent
les noms des malades. Pendant ce temps, le nouveau pensionnaire
arrive. Randal Patrick McMurphy (Jack Nicholson), dit Murphy, sort de
la voiture les menottes aux mains. Il est accompagné par les
surveillants, certains portent des nœuds papillon, d'autres des
cravates, au bureau du directeur (Dean Brooks).
Murphy
arrive en civil, contrairement aux autres qui portent un pyjama
d'hôpital et découvre les méthodes de Nurse Ratched. Elle préside
l'assemble, à sa droite son assistante, devant elle, en demi cercle,
les malades. Elle les encourage à causer. Personne ne veut vraiment
parler. Murphy écoute les yeux grands ouverts, Milos Forman en fait
son personnage à l'égal du spectateur, entraîné dans un univers
dont il faut découvrir les rites et les codes.
On
ne saura jamais vraiment de quoi souffrent chacun, ici la jalousie
maladive de Harding (William Redfield), là le bégaiement du jeune
Billy (Brad Dourif) qui peine à expliquer sa peine de cœur, et
encore Cheswick (Sydney Lassick), Martini (Danny De Vito) et son
sourire permanent donc inquiétant, le timbré rigolard Taber
(Christopher Lloyd), les yeux fatigués de Frederickson (Vincent
Schiavelli) et d'autres encore.
Une
bonne dizaine en tout de personnages secondaires et de plus petits
rôles créent cet asile de fous dans lequel Murphy a été interné.
Comme on le comprend au fil des discussions avec la direction, Murphy
a échappé à la prison en se faisant passer pour fou, ce qui pour
Jack Nicholson est un jeu d'enfant. Il ne lui en faut pas beaucoup,
c'est grâce à ce rôle que son Jack Torrance dans Shining existe
immédiatement, sa folie est naturelle.
Puisqu'il
a un auditoire pour jouer au maboule, il joue. Il est au théâtre.
Le metteur en scène doit être Nurse Ratched mais elle est vite
débordée par les improvisations de Murphy. Si Milos Forman avait
montré dès les premières minutes ce rituel immuable, c'est pour
que Murphy puisse le mettre en l'air. Il ne respecte pas la partition
minutieusement mise au point par l'infirmière et que tout le monde
respectait contraint et forcé jusque là.
Dans
cet espace fermé, Murphy veut apporter la vie extérieure. Lors
d'une discussion de groupe, il demande à regarder les matchs de
base-ball des World Series. Une institution pour les Américains.
Mais Mildred Ratched continue de mettre le même vieux 45 tours.
Forte de son autorité, elle suggère un vote, Murphy ne recueille
pas assez de voix. Pas de majorité, pas de match. Il reviendra à la
charge et l'infirmière change de règles. Toujours pas de majorité.
C'est
précisément à partir de ce moment où l'infirmière en chef
bouscule, sans s'en rendre compte, les propres rituels qu'elle perd
son statut de metteur en scène. Et si le monde extérieur ne peut
entrer dans l'hôpital psychiatrique, Murphy reprend la main de
metteur en scène et va emmener tous ses cothurnes à l'extérieur.
Après une promenade, il s'engouffre dans un bus scolaire, fait
monter tout le monde et il s'évade le temps d'une après-midi.
L'escapade
sur un bateau de pêche est magnifique. Sur place, Murphy déclare au
capitaine médusé que tous sont des médecins, encore de
l'improvisation qu'il impose aux autres patients, ravis de ce petit
tour. Ils vont pêcher le gros et reviennent, après quelques tours
de bateau, avec des beaux poissons de la même taille que celui
qu'avait pêché le directeur. Murphy avait remarqué cette photo sur
le bureau du directeur.
Dans
cette chronique dans un asile, Ratched est donc l'alter ego de
Murphy. À chaque coup fumant, elle répond en gardant son calme par
une punition exemplaire. Une humiliation publique (elle apprend à
Murphy que la plupart des patients sont là volontairement, lui est
un prisonnier), par des coups donnés par les surveillants qui s'en
donnent à cœur joie et par des électrochocs pour calmer les plus
récalcitrants.
Le
film ne serait pas aussi beau sans Chief (Will Sampson), le géant
Native-American, un Indien comme on disait, aussi énigmatique que
massif. Les autres disent qu'il est sourd muet. Effectivement, il ne
parle pas. Il n'entend rien. Il reste dans son coin et Murphy décide
de le sortir de sa torpeur. Puisqu'il est grand, il va jouer au
basket ball. Comme l'escapade en mer, la partie de basket est un
moment magnifique.
Ce
qui énerve l'infirmière en chef est de voir Murphy réussir là où
elle échoue. Il fait sourire Chief, il prend plaisir à la vie de
groupe. Il redonne confiance à Billy qui cesse de bégayer. Il
semble comprendre tout le monde et tout le monde en redemande.
Ratched dit qu'il es sournois, il dépouille les malades lors des
parties de poker qu'il fait. Il a créé un tripot dans la salle de
bains, elle a décidé de supprimer les cigarettes qui servent de
monnaie.
Dans
un ultime dérèglement des rituels, Murphy fait venir le monde
extérieur dans l'hôpital, deux jeunes femmes et de l'alcool. Cela
occupera les malades, ça les divertira mais c'est surtout un moyen
de faire diversion pour s'évader avec Chief dont il a découvert le
secret quelques jours auparavant. Mais cet dernier pied de nez à son
ennemi intime se retournera contre lui de la manière la plus
tragique possible. C'est évidemment tragiquement grandiose.
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