dimanche 24 mai 2020

Vol au dessus d'un nid de coucou (Milos Forman, 1975)

Tous les matins, la routine s'enclenche. L'infirmière en chef Mildred Ratched (Louise Fletcher) entre dans l'hôpital, elle ferme la porte à barreau à clé, elle revet son uniforme, elle met en marche le tourne-disque avec chaque fois le même morceau de musique vieillotte douceâtre et entêtante. C'est le signal, suivi d'une annonce au micro, que l'heure de venir chercher ses médicaments est arrivée pour les patients qui défilent en silence.

C'est par cette simple entrée que Milos Forman présente les personnages de Vol au dessus de nid de coucou. Les deux infirmières énoncent les noms des malades. Pendant ce temps, le nouveau pensionnaire arrive. Randal Patrick McMurphy (Jack Nicholson), dit Murphy, sort de la voiture les menottes aux mains. Il est accompagné par les surveillants, certains portent des nœuds papillon, d'autres des cravates, au bureau du directeur (Dean Brooks).

Murphy arrive en civil, contrairement aux autres qui portent un pyjama d'hôpital et découvre les méthodes de Nurse Ratched. Elle préside l'assemble, à sa droite son assistante, devant elle, en demi cercle, les malades. Elle les encourage à causer. Personne ne veut vraiment parler. Murphy écoute les yeux grands ouverts, Milos Forman en fait son personnage à l'égal du spectateur, entraîné dans un univers dont il faut découvrir les rites et les codes.

On ne saura jamais vraiment de quoi souffrent chacun, ici la jalousie maladive de Harding (William Redfield), là le bégaiement du jeune Billy (Brad Dourif) qui peine à expliquer sa peine de cœur, et encore Cheswick (Sydney Lassick), Martini (Danny De Vito) et son sourire permanent donc inquiétant, le timbré rigolard Taber (Christopher Lloyd), les yeux fatigués de Frederickson (Vincent Schiavelli) et d'autres encore.

Une bonne dizaine en tout de personnages secondaires et de plus petits rôles créent cet asile de fous dans lequel Murphy a été interné. Comme on le comprend au fil des discussions avec la direction, Murphy a échappé à la prison en se faisant passer pour fou, ce qui pour Jack Nicholson est un jeu d'enfant. Il ne lui en faut pas beaucoup, c'est grâce à ce rôle que son Jack Torrance dans Shining existe immédiatement, sa folie est naturelle.

Puisqu'il a un auditoire pour jouer au maboule, il joue. Il est au théâtre. Le metteur en scène doit être Nurse Ratched mais elle est vite débordée par les improvisations de Murphy. Si Milos Forman avait montré dès les premières minutes ce rituel immuable, c'est pour que Murphy puisse le mettre en l'air. Il ne respecte pas la partition minutieusement mise au point par l'infirmière et que tout le monde respectait contraint et forcé jusque là.

Dans cet espace fermé, Murphy veut apporter la vie extérieure. Lors d'une discussion de groupe, il demande à regarder les matchs de base-ball des World Series. Une institution pour les Américains. Mais Mildred Ratched continue de mettre le même vieux 45 tours. Forte de son autorité, elle suggère un vote, Murphy ne recueille pas assez de voix. Pas de majorité, pas de match. Il reviendra à la charge et l'infirmière change de règles. Toujours pas de majorité.

C'est précisément à partir de ce moment où l'infirmière en chef bouscule, sans s'en rendre compte, les propres rituels qu'elle perd son statut de metteur en scène. Et si le monde extérieur ne peut entrer dans l'hôpital psychiatrique, Murphy reprend la main de metteur en scène et va emmener tous ses cothurnes à l'extérieur. Après une promenade, il s'engouffre dans un bus scolaire, fait monter tout le monde et il s'évade le temps d'une après-midi.

L'escapade sur un bateau de pêche est magnifique. Sur place, Murphy déclare au capitaine médusé que tous sont des médecins, encore de l'improvisation qu'il impose aux autres patients, ravis de ce petit tour. Ils vont pêcher le gros et reviennent, après quelques tours de bateau, avec des beaux poissons de la même taille que celui qu'avait pêché le directeur. Murphy avait remarqué cette photo sur le bureau du directeur.

Dans cette chronique dans un asile, Ratched est donc l'alter ego de Murphy. À chaque coup fumant, elle répond en gardant son calme par une punition exemplaire. Une humiliation publique (elle apprend à Murphy que la plupart des patients sont là volontairement, lui est un prisonnier), par des coups donnés par les surveillants qui s'en donnent à cœur joie et par des électrochocs pour calmer les plus récalcitrants.

Le film ne serait pas aussi beau sans Chief (Will Sampson), le géant Native-American, un Indien comme on disait, aussi énigmatique que massif. Les autres disent qu'il est sourd muet. Effectivement, il ne parle pas. Il n'entend rien. Il reste dans son coin et Murphy décide de le sortir de sa torpeur. Puisqu'il est grand, il va jouer au basket ball. Comme l'escapade en mer, la partie de basket est un moment magnifique.

Ce qui énerve l'infirmière en chef est de voir Murphy réussir là où elle échoue. Il fait sourire Chief, il prend plaisir à la vie de groupe. Il redonne confiance à Billy qui cesse de bégayer. Il semble comprendre tout le monde et tout le monde en redemande. Ratched dit qu'il es sournois, il dépouille les malades lors des parties de poker qu'il fait. Il a créé un tripot dans la salle de bains, elle a décidé de supprimer les cigarettes qui servent de monnaie.


Dans un ultime dérèglement des rituels, Murphy fait venir le monde extérieur dans l'hôpital, deux jeunes femmes et de l'alcool. Cela occupera les malades, ça les divertira mais c'est surtout un moyen de faire diversion pour s'évader avec Chief dont il a découvert le secret quelques jours auparavant. Mais cet dernier pied de nez à son ennemi intime se retournera contre lui de la manière la plus tragique possible. C'est évidemment tragiquement grandiose.































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