Pour
l'instant, Dialogues d'exilés est le seul de ses films des
années 1970 que j'ai réussi à voir en entier. J'ai plusieurs fois
essayé de regarder La Vocation suspendue ou L'Hypothèse
du tableau volé (sortis en DVD avec Les Trois couronnes du
matelot). J'avoue, chaque fois je n'ai pas tenu ce rythme des
films ni ce que Raul Ruiz racontait (enfin, raconter, faut le dire
vite). Dialogues d'exilés passe en ce moment sur Henri la
plate-forme de la Cinémathèque française, j'ai tenu les 105
minutes, j'ai même aimé le film.
Pour
faire court, Dialogues d'exilés est le premier film tourné
en France par Raul Ruiz quelques mois après le coup d'état de
Pinochet (c'était le 11 septembre 1973). De quoi ça cause, de
Chiliens exilés à Paris. Et ça dépote. Pas de nostalgie mièvre,
c'est plutôt tout le contraire, ce sont des portraits, plus
précisément des esquisses, d'opposants à la junte mais dessinés
comme dans une revue satirique, avec un humour caustique que les
critiques de gauche et gauchistes n'ont pas pu supporté à l'époque.
C'est
où le Chili ? Plus loin, c'est plus loin. Le premier dialogue
entre un immigré marocain qui se demande qui est ce barbu se
poursuit jusqu'à n'avoir plus aucun sens. Dans cette première
séquence étonnante où le Marocain énumère tout un tas de pays où
règne la tyrannie, il se passe d'abord un aspect documentaire, soit
deux hommes du Tiers-Monde qui échangent sur leur malheur, avant de
basculer vers la fiction, ce que sera la plupart du temps Dialogues
d'exilés, comme une provocation au cinéma militant constitué de
simples témoignages.
En
ne répétant que « plus loin », ce Chilien ne témoigne
de rien si ce n'est qu'il veut reproduire son chez soi avec les
autres Chiliens. Il y a quelque chose d'hilarant de les voir arriver
dans la minuscule chambre les uns après les autres pour aller dormir
dans cet appartement mis à leur disposition par des militants (les
mêmes qui veulent entendre des témoignages poignants mais
politiques au cinéma). C'est un microcosme de Chili, tous serrés
comme l'est leur pays, une fine baguette de terre au bord de l'océan
pacifique.
Leur
hôte leur fait la leçon le matin « c'est très bien de
combattre le fascisme, mais il ne faut pas oublier la cible
principale : l'impérialisme ». Ce qui au petit déjeuner
a peu de chance de faire émerger les exilés. Ils sont encombrants,
leur reproche-t-elle. Dans une vision opposée, Daniel Gélin incarne
un chef d'entreprise aux dents longues qui espère pouvoir continuer
à faire du business. Lui comme la militante semblent hors sol.
Malicieusement, Raul Ruiz exprimer tout le dérisoire de cette
situation, un sens de l'ironie qui le rend aujourd'hui irrésistible.
Deux
intrigues découlent de cette dérision. L'un est policier avec une
enveloppe de 10000$ égarée. En fait, chacun des exilés a pioché
dedans. L'argent devait être envoyé au Chili, mais les Chiliens ne
comprennent pas ce mode de fonctionnement alors ils se sont servis
pour vivre comme au pays. L'autre illustre le syndrome de Stockholm
avec un chanteur chilien venu faire un concert à l'Olympia. Les
exilés veulent faire un « enlèvement à la chilienne »,
ça consiste à le retarder le soir de son concert. Et si possible à
l'inviter au restaurant.
Ce
chanteur à la candeur incroyable – un autre motif humoristique du
film – prétend chanter pour montrer aux Français les bienfaits de
la junte de Pinochet. Il a un air de brave couillon ce chanteur,
toujours à sourire niaisement avec sa petite mèche d'enfant sage.
On apprend au bout d'un moment que la presse a cru que le chanteur
avait été enlevé. Dans ces quinze jours où il a vécu avec les
exilés, il a appris à repasser, il s'est persuadé qu'il était
devenu ami avec eux alors qu'ils n'ont jamais cessé de ce jouer de
lui.
L'une
des séquences est étonnante. Raul Ruiz pour une simple question de
budget travaille sur le plan séquence, sur la caméra portée (l'une
des scènes se passe dans une salle de classe de l'université de
Vincennes). Il joue comme il le peut sur les effets visuels avec ces
moyens limités, cela consiste à ouvrir et fermer des portes et à
faire entrer et sortir des personnages muets parce qu'ils écoutent
un discours absurde, celui de Pinochet, sorti comme un conte pour
enfant. Impossible pour les exilés de dialoguer avec ce discours,
voilà ce que dit le film.
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