lundi 4 mai 2020

Dialogues d'exilés (Raul Ruiz, 1974)

Pour l'instant, Dialogues d'exilés est le seul de ses films des années 1970 que j'ai réussi à voir en entier. J'ai plusieurs fois essayé de regarder La Vocation suspendue ou L'Hypothèse du tableau volé (sortis en DVD avec Les Trois couronnes du matelot). J'avoue, chaque fois je n'ai pas tenu ce rythme des films ni ce que Raul Ruiz racontait (enfin, raconter, faut le dire vite). Dialogues d'exilés passe en ce moment sur Henri la plate-forme de la Cinémathèque française, j'ai tenu les 105 minutes, j'ai même aimé le film.

Pour faire court, Dialogues d'exilés est le premier film tourné en France par Raul Ruiz quelques mois après le coup d'état de Pinochet (c'était le 11 septembre 1973). De quoi ça cause, de Chiliens exilés à Paris. Et ça dépote. Pas de nostalgie mièvre, c'est plutôt tout le contraire, ce sont des portraits, plus précisément des esquisses, d'opposants à la junte mais dessinés comme dans une revue satirique, avec un humour caustique que les critiques de gauche et gauchistes n'ont pas pu supporté à l'époque.

C'est où le Chili ? Plus loin, c'est plus loin. Le premier dialogue entre un immigré marocain qui se demande qui est ce barbu se poursuit jusqu'à n'avoir plus aucun sens. Dans cette première séquence étonnante où le Marocain énumère tout un tas de pays où règne la tyrannie, il se passe d'abord un aspect documentaire, soit deux hommes du Tiers-Monde qui échangent sur leur malheur, avant de basculer vers la fiction, ce que sera la plupart du temps Dialogues d'exilés, comme une provocation au cinéma militant constitué de simples témoignages.

En ne répétant que « plus loin », ce Chilien ne témoigne de rien si ce n'est qu'il veut reproduire son chez soi avec les autres Chiliens. Il y a quelque chose d'hilarant de les voir arriver dans la minuscule chambre les uns après les autres pour aller dormir dans cet appartement mis à leur disposition par des militants (les mêmes qui veulent entendre des témoignages poignants mais politiques au cinéma). C'est un microcosme de Chili, tous serrés comme l'est leur pays, une fine baguette de terre au bord de l'océan pacifique.

Leur hôte leur fait la leçon le matin « c'est très bien de combattre le fascisme, mais il ne faut pas oublier la cible principale : l'impérialisme ». Ce qui au petit déjeuner a peu de chance de faire émerger les exilés. Ils sont encombrants, leur reproche-t-elle. Dans une vision opposée, Daniel Gélin incarne un chef d'entreprise aux dents longues qui espère pouvoir continuer à faire du business. Lui comme la militante semblent hors sol. Malicieusement, Raul Ruiz exprimer tout le dérisoire de cette situation, un sens de l'ironie qui le rend aujourd'hui irrésistible.

Deux intrigues découlent de cette dérision. L'un est policier avec une enveloppe de 10000$ égarée. En fait, chacun des exilés a pioché dedans. L'argent devait être envoyé au Chili, mais les Chiliens ne comprennent pas ce mode de fonctionnement alors ils se sont servis pour vivre comme au pays. L'autre illustre le syndrome de Stockholm avec un chanteur chilien venu faire un concert à l'Olympia. Les exilés veulent faire un « enlèvement à la chilienne », ça consiste à le retarder le soir de son concert. Et si possible à l'inviter au restaurant.

Ce chanteur à la candeur incroyable – un autre motif humoristique du film – prétend chanter pour montrer aux Français les bienfaits de la junte de Pinochet. Il a un air de brave couillon ce chanteur, toujours à sourire niaisement avec sa petite mèche d'enfant sage. On apprend au bout d'un moment que la presse a cru que le chanteur avait été enlevé. Dans ces quinze jours où il a vécu avec les exilés, il a appris à repasser, il s'est persuadé qu'il était devenu ami avec eux alors qu'ils n'ont jamais cessé de ce jouer de lui.


L'une des séquences est étonnante. Raul Ruiz pour une simple question de budget travaille sur le plan séquence, sur la caméra portée (l'une des scènes se passe dans une salle de classe de l'université de Vincennes). Il joue comme il le peut sur les effets visuels avec ces moyens limités, cela consiste à ouvrir et fermer des portes et à faire entrer et sortir des personnages muets parce qu'ils écoutent un discours absurde, celui de Pinochet, sorti comme un conte pour enfant. Impossible pour les exilés de dialoguer avec ce discours, voilà ce que dit le film.

















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