samedi 9 mai 2020

Pat Garrett & Billy the Kid (Sam Peckinpah, 1973)

Les cibles ce sont des poules, coincées dans un monticule de terre. Les hommes bien éloignés sortent leur revolver et commencent à tirer pour exploser les têtes des volatiles. Billy the Kid (Kris Kristofferson), tout sourire, se joint aux gars et tire sur sa cible. Dans le plan suivant, c'est Pat Garrett (James Coburn) qui tombe au sol. Voilà la maîtrise souveraine de Sam Peckinpah dans Pat Garrett & Billy the Kid, faire se toucher deux plans par la grâce du montage.

Billy the Kid tue Pat Garrett avec près de 30 ans de distance, dans deux lieux différents, dans deux tons d'image différents. Cela tient du prodige. Le film commence par un générique en sépia en 1909, celle de la mort de Pat Garrett tué par un homme en embuscade (on reconnaît Bob Dylan). Les crédits apparaissent en rouge (sang). Le film se poursuit en 1881 en images couleurs normales avec Billy, en alternance avec le générique.

Le spectateur sait peut-être (moi je l'ignorais) que Billy the Kid meurt en 1881 et commencer le film par la mort de celui qui l'a tué pour en inverser dans un flash-forward le sens historique a pour but de perturber le regard du spectateur. Vous pensiez que Pat Garrett a tué Billy the Kid ? Il ne s'agit pas, bien au contraire, d'une relecture fordienne de cette légende de l'est, parce que je crois que ça n'intéresse guère Sam Peckinpah.

Alors de quoi ça parle ? Le film procède par une forme étrange, très perturbante pour moi, avec un arc unique : prolonger au maximum la mort de Billy the Kid, inéluctable mais sans cesse remise à plus tard. Ça a dû perturber aussi la MGM qui a charcuté le film à sa sortie en 1973. il existe aujourd'hui deux versions sur le DVD, j'ai regardé la plus longue (2h01) qui se rapproche du montage initial désiré par Sam Peckinpah.

Le récit donne une impression de flottement avec un très grand nombre de personnages secondaires qui viennent croiser les chemins de Billy et de Pat. Ce dernier affirme dans les dialogues chercher Billy mais sur l'écran on constate bien qu'il ne fait que s'éloigner. Le schéma semble similaire à la longue poursuite de La Horde sauvage (ce à quoi s'attend le spectateur) mais c'est le processus d'inversion du prologue se prolonge tout le film.

Ce massacre cruel de poules, Pat Garrett l'observe de loin avant de s'en approcher, d'amer son fusil et de tirer pour damer le pion à Billy the Kid. Ils sont amis, ils plaisantent ensemble, mais plus que cela, ils trinquent ensemble. L'objet fétiche du film est la flasque de Pat Garrett, s'il offre de boire de son contenu, il respecte l'homme. Sinon, Pat Garrett considère celui qu'il a en face de lui un salaud, un homme indigne de rendre la justice.

L'un de ces hommes indignes est un shérif, un bigot de la pire espèce. Sam Peckinpah tire un portrait acerbe de cet abruti qui sort sa bible aussi vite qu'il dégaine son fusil. Lui n'a pas droit à la flasque de whisky ni même de jouer au poker avec Pat et Billy. Il n'attend que Billy soit enfin au bout de la corde de pendu en place publique. Rarement un tel rictus de la haine n'a rempli le visage d'un personnage de Sam Peckinpah.

Il était donc logique que Pat Garrett laisse Billy the Kid seul face à cet homme pour qu'il s'échappe. Il n'est pas question qu'il soit jugé et pendu par une telle ordure. Sous un prétexte fallacieux (aller chez le coiffeur barbier, il lui demandera de bien soigner sa moustache), Pat Garrett laisse son prisonnier avec son adjoint. Billy the Kid tuera dans l'indifférence générale ce shérif bigot et stupide. La longue poursuite peut reprendre.

Je crois que Pat Garrett ne rêve que d'une chose, que Billy the Kid soit son adjoint. Mais comme il le dit « what you want and what you get are two different things ». Ce que l'on veut et ce que l'on a sont deux choses différentes. Pat Garrett embauche un vieux briscard qui n'en revient pas de passer de gangster à adjoint au shérif. « The law is a funny thing », la loi est une chose étrange. Plus tard, il fera route avec un plus jeune « adjoint ».

La loi parlons en. Les hommes de Chisum, l'employeur officiel de Pat Garrett, l'ont pour eux. Mais ils sont cruels à plusieurs reprises. Dans l'une des scènes les plus euphoriques du film (dans son entame), celle où Billy the Kid chasse des dindons, ils sont sans pitié, abattent le cheval d'un des hommes de Billy avant de tirer dans tous les sens pour le plaisir de tuer. Il n'est pas étonnant que Pat Garrett soit traiter de lâche par ceux qu'il croise.

Pat Garrett erre dans les limbes de son passé dans une de mes séquences préférées avec le shérif Baker (Slim Pickens), un peu lâche (il demande de l'argent pour aider Garrett), sa femme (Katy Jurado), portant un chapeau haut de forme, est bine plus à même de porter un fusil. Ils vont débusquer des renseignements sur Billy dans un cabanon où vit, entre autres, L.Q. Jones qui surgit sur le toit de la cabane qui sert de refuge.

A contrario, le personnage de Bob Dylan surnommé Alias annonce par bribes le futur funeste de Pat Garrett. Bob Dylan a aussi composé la musique du film. Dans la version que j'ai vu on n'entend Knockin' In Heaven's Door que fredonner. Une mélopée susurrée pour annoncer le geste fatal d'Alias, ce gamin qui suit Billy the Kid, témoin de toutes les morts et de celle de son mentor par Pat Garrett.


Le film ne se comprend que dans ce plan du miroir qui renvoie à Pat Garrett l'image hideuse qu'il donne partout sur son chemin. Il se considère comme un félon d'avoir accepté d'être le shérif de la ville de Lincoln, d'être la marionnette de Chisum. Ce si long temps pris à enfin tuer Billy the Kid c'était pour lui laisser une chance à Billy de tuer Pat. Il est ainsi logique que sa mort vienne 30 ans plus tard par le bras droit de Billy the Kid.

















































2 commentaires:

Jacques Boudineau a dit…

Un de mes films de chevet, une merveille
bouleversante et nonchalante où, comme tu
le dis, le temps est étiré pour profiter
encore de la vie et d'une époque qui va
disparaître à jamais.
Scénario d'un grand écrivain (Rudy Wurlitzer),
un James Coburn des grands soirs, une BO de Dylan
éternelle, des répliques inusables ("keep the change !"),
et un rythme invraisemblable pour un western que l'on ne
retrouvera qu'une seule autre fois, en 1980 avec
La Porte du Paradis,pour une problématique similaire.
Chef d'oeuvre absolu.
Il y a trois montages différents : celui de la MGM en 73,
sinistre au possible; la version "Ted Turner" des années 90,
plus proche du montage de Peckinpah et supervisée par
Roger Spottiswoode, le monteur du Grand Sam (Patrick Brion
la diffusa au Cinéma de minuit et elle bénéficia d'une
sortie en VHS). Et la dernière en date, de 2005,
supervisée par Paul Seydor et dans laquelle
on trouve la seule scène existante entre Pat Garrett
et sa femme. Warner la commercialise en dvd.

Jacques Boudineau a dit…

Et puis Peckinpah apparaît dans le film,
à la fin, dans le rôle du croque-mort.
Je crois qu'il prépare un cercueil
pour enfant.