Il
se sent observé, il se sait observé ce jeune professeur de
mathématiques, cet Américain venu s'exiler dans ce village paumé,
dans cette maison isolé dans la lande. David (Dustin Hoffman) vient
faire des courses. Les bras chargés de victuailles, il rejoint sa
voiture décapotable. Sa femme Amy (Susan George) revient suivie de
deux jeunes qui portent un imposant piège à braconnier, une machine
de mort.
Puis
David va acheter des cigarettes dans le pub local. En général, les
pubs anglais sont des lieux agréables mais là, le malaise est
palpable. Au centre, un vieux barbu (Peter Vaughan) au regard
furieux. Il vient boire son sou. Tout le monde voit David dans le
coin, personne n'ose vraiment l'accueillir ou le rejeter. Deux mondes
s'observent dans ce petit endroit, mais clairement, David est un
intrus dans leur microcosme.
J'en
ai vu des films à l'atmosphère poisseuse, Les Chiens de paille
atteint un haut niveau de poisse. C'est étonnant de voir dans ces
quelques années le nombre de cinéastes qui font le voyage en Grande
Bretagne, Richard Fleischer (L'Etrangleur de Rimington Street,
Terreur aveugle), Stanley Kubrick (Orange mécanique)
et dans un échange de bons procédés le britannique John Boorman
ira filmer Deliverance aux fins fonds des Etats-Unis.
Si
l'on faisait l'anthologie des meilleurs séquences d'ouverture, celle
des Chiens de paille pourrait y figurer en bonne place. Tout est déjà
en place, tous les personnages sont dans cette rue, ils sont placés
de manière à figurer les affrontements. La voiture sert de limite
entre les deux hommes, elle les sépare, à gauche David et son
instrument de mort mise sur le siège arrière, à droite Amy qui
discute avec une vieille connaissance, Charlie (Del Henney).
La
voiture décapotable, la voiture de sport, c'est un luxe que n'ont
pas les villageois. Cela démarque déjà David. Les habitants du
coin se déplacent en camionnette, dans des véhicules utilitaires
comme on dit maintenant. Immédiatement, David est exclu des autres
par son mode de vie différent. Un mode de vie luxueux, la preuve il
utilise ce piège comme simple objet décoratif. Dans un premier
temps, ça saura se rendre utile.
L'agneau
qu'est David fait entrer les loups dans sa bergerie. Il est mignon
David avec ses grosses lunettes d'intello. Il ne ferait pas de mal à
une mouche. Sur les conseils d'Amy, il a embauché des gars du
village. Mais pas Charlie. Il ne veut pas de lui. Les gars du village
font le toit de la bergerie. L'un d'eux a un petit rire de crécelle,
glaçant. Un rire qui vient de nulle part qui sort régulièrement et
que David décèle comme une insulte, comme une moquerie.
Amy
est chez elle dans ce village mais elle est l'objet de tous les
regards. Or David voit les regards qu'on lui porte. Ça le rend
dingue. Il lui reproche de ne rien porter sous son pull blanc. La
nuit dans leur chambre à coucher, un miroir reflète à deux
observateurs leur nudité quand ils vont se coucher. La fille du
vieux barbu Janice (Sally Thomsett) et son frère Bobby (Len Jones)
se délectent de voir ce spectacle.
Pour
Charlie, Amy est sa propriété. Elle lui appartient et il reste
persuadé qu'il va être facile de se débarrasser de David. Le
spectateur n'est pas loin de penser pareil vu la litanie des disputes
du couple. David est même antipathique par moment, il est mesquin.
Mais si David a mis les loups dans la bergerie, les loups lui ont
aussi appris à utiliser un fusil dans cette scène centrale de la
chasse au canard où ils l'humilient.
Toute
la frustration sexuelle au sein de la population du village resurgit
avec David et Amy. Sam Peckinpah n'y va avec le dos de la cuiler.
C'est tout juste si Janice et Bobby ne sont pas incestueux, après
tout ils espionnent ensemble le jeune couple. Janice est
particulièrement gratinée avec ses longs regards langoureux qu'elle
jette. Elle pense qu'elle ne fait que s'amuser même quand elle se
tourne vers l'idiot du village Henry (David Warner).
Henry
était en marge jusqu'à présent. Personnage muet et
expressionniste, il devient le centre du récit dans une course
poursuite qui convoque la créature de Frankenstein. L'assaut de la
maison de David et Amy est le moment le plus impressionnant du film
moins à cause de la violence que pour son montage stroboscopique et
haché menu. On ne sait plus où donner du regard, conséquence, on
ne sait plus qui torture qui.
Cette
frustration, cette violence a une origine, la religion bien-sûr.
Tout prend corps lors la kermesse organisée par le pasteur. Il
infantilise ses ouailles avec ses ridicules tours de
prestidigitation. Pendant qu'il distrait le village, Janice file avec
Henry, Amy subit une deuxième fois son viol commis par Charlie et
son comparse. Le pasteur voulait le silence dans le village, il aura
la fureur et la mort.
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